APERÇU SUR LA SEIGNEURIE DE LA BERGERIE
La Bergerie est aujourd'hui un village en limite occidentale de la commune de la Vallée, au contact de Saint-Hippolyte (1), qui ne se signale guère à l'attention du passant que par un pigeonnier en ruine envahi par la végétation. Ce pigeonnier dépendait d'un château mais celui-ci a été détruit au XIXe siècle (2). La Bergerie était en effet le siège d'une seigneurie dont l'origine, qui est connue, n'est pas antérieure à 1276.
L'origine
Cette seigneurie est issue d'un démembrement de la châtellenie de Tonnay-Charente. En effet, le dernier des Tonnay, Geoffroy IV, meurt vers 1269, détenteur de plusieurs châtellenies mais en nombre inférieur à celui de ses sept filles, de sorte qu'il faut en segmenter certaines pour assurer l'équilibre des parts dans la succession. Aimeri IX de Rochechouart, veuf de la fille aînée, Jeanne, décédée en 1263, a droit à 30 livres de rente et 1/5 de la châtellenie de Tonnay avant tout partage, pour raison de ses enfants. Le reste de la succession est à diviser en parts de même valeur entre les sept filles ou leurs représentants. Le règlement, confié au châtelain de Saintes Hues de Caumont, intervient en mars 1276 (3).
Aimeri de Rochechouart reçoit ainsi toute la partie de la châtellenie de Tonnay située au nord de la Charente et une tête de pont au sud du fleuve, qui est ainsi présentée : " toute la terre et la pêche ainsi comme la Charente mène depuis l'estier de Barbechou (4) jusqu'à l'eau qui vient du moulin de Pillay (5) et l'eau qui vient dudit moulin avec toute la pêcherie, et du moulin de Pillay suivant le chemin qui mène vers la maison d'Aimeri de Malié et rejoint le grand chemin de Trizay à Tonnay, jusque au moulin des Girais (6) et de là, suivant le grand chemin, au bourg de Saint-Hippolyte et au pont de Barbechou et du pont à la Charente, suivant l'étier, sauf et excepté le bourg de Saint-Hippolyte ".
A Chales de Rochefort, pour raison de ses enfants issus de Marguerite, autre fille de Geoffroy de Tonnay, sont attribués la châtellenie de Broue et un territoire détaché de Tonnay : " tout le château et la châtellenie de Broue, toutes les appartenances dedans et dehors en fiefs et arrière-fiefs, et l'Arbergerie, avec toute la terre qui y est contenue, entre les divises d'Imbert Guy (7) et du seigneur de Tonnay, dès la Charente jusqu'à la paroisse de Trizay et le petit Chizé (8) et le marais et l'eau de Pillay jusqu'à Vouillay (9) et tout ce qui est à Rhône, entre la divise au seigneur de Tonnay ; et toute cette terre avec toute justice et seigneurie et la justice des chemins qui les suivent, et l'étier de Barbechou avec tous ses viviers, Hélie de Fort, Aimeri de Bois, Acarie, P. Rigaut, Geoffroy Joulen, Estève Papelion, Jean Robin, Renou Désiré, et le bourg de Saint-Hippolyte " (10).
La tête de pont d'Aimeri de Rochechouart comprend donc une partie de la paroisse de Saint-Hippolyte en forme de croissant, délimitée par la Charente au nord et l'Arnoult à l'ouest, en remontant jusqu'à Pillay, plus un fragment de celle de Monthérault, au nord de Pillay. Chales de Rochefort obtient le reste de Saint-Hippolyte, c'est-à-dire la plus grande partie de la terre ferme, bourg compris, et le terroir de Rhône, dans la boucle de la Charente, qui fait face à Rochefort, plus la partie méridionale de Monthérault, avec l'église.
L'Arbergerie, aujourd'hui la Bergerie, est en position très excentrique dans l'ensemble attribué à Chales de Rochefort, de sorte que le lieu doit être choisi comme siège de la nouvelle seigneurie parce qu'il est alors un centre de juridiction pour les seigneurs de Tonnay. Cette nouvelle seigneurie, conçue comme complément d'une part d'héritage, est relativement modeste, ne comprenant que des fractions de deux paroisses (11) et, de plus, elle est segmentée.
Les détenteurs
Les descendants de Chales de Rochefort se maintiennent à Broue pendant deux générations. On identifie ainsi, comme seigneurs de Broue, Guiard de Rochefort entre 1282 et 1295 (12) et Guy de Rochefort en 1315 et 1320 (13). Dix ans plus tard, en 1330, un Guy de Beaussais a succédé à Guy de Rochefort (14). Dans le même temps, on n'a pas de renseignement sur le sort de la Bergerie, qu'on ne retrouve qu'en 1440, aux mains de Jeanne d'Archiac, qui se dit alors " dame de Meslerain, du Parc et de la Bergerie " dans un aveu du Parc d'Archiac fait au seigneur de Tonnay-Charente (15).
Jeanne d'Archiac a épousé Guillaume de Torsay, échanson du roi. De cette union elle a eu une fille nommée Marguerite, sa seule héritière, qui a épousé Guillaume 1er de la Rochefoucauld, fils de Guy VII, seigneur de Verteuil et de Barbezieux (16). Ensuite, les la Rochefoucauld tiennent le fief jusque vers le milieu du XVIIIe siècle. Voici une liste simplifiée des détenteurs principaux, compte non tenu des partages éventuels des droits entre plusieurs membres de la famille.
- Guillaume 1er, qui a épousé Marguerite de Torsay avant le 6 juillet 1445, fait un testament le 6 septembre 1479. Il est inhumé dans la chapelle de l'aumônerie de Verteuil, en 1487.
- Guillaume II, quatrième fils de Guillaume 1er et de Marguerite de Torsay, seigneur de Bayers (17). Le 7 décembre 1481, il reçoit de son père, entre autres terres, la Bergerie et le Parc d'Archiac. Le 28 mars 1489 (v.s.), les frères Jean, François et Charles Goumard, fils de Foucaud Goumard, seigneur d'Echillais, ont un différend avec lui, au sujet de la pêche dans la rivière de Pillay (18). Le 9 novembre 1492, il transige avec Jean, vicomte de Rochechouart, au sujet de droits que celui-ci prélevait sur sa terre du Parc d'Archiac. Il fait un testament le 17 septembre 1510.
- René 1er, fils de Guillaume II. Nous n'avons relevé aucun texte le désignant comme seigneur de la Bergerie, mais son fils François 1er continue la série des détenteurs.
- François 1er, fils aîné de René, achète les fiefs de la Vallée (19), l'Houmée (20) et Baconnay (21), voisins de la Bergerie. Il décède avant le 30 avril 1571. Ses fils aînés se partagent l'héritage dépendant de Tonnay-Charente et des Fontaines de Beurlay. Louis 1er reçoit ainsi l'ensemble la Bergerie, la Vallée, l'Houmée, Baconnay, au sud de la Charente, et Pierre le Parc d'Archiac, au nord.
- Louis 1er, fils aîné de François 1er, est dit seigneur de Bayers, la Bergerie, l'Houmée, Baconnay et la Vallée, le 7 octobre 1596, quand il exempte de lods et ventes son serviteur Barthélémy Guillier, propriétaire du Pinier, à la Vallée (22). Il n'entretient alors qu'une seule cour, à la Bergerie, pour les quatre fiefs. Il décède le 24 décembre 1608.
- Louis II, fils aîné de Louis 1er, reçoit la Bergerie et la Vallée, tandis que son frère René a en partage l'Houmée et Baconnay. Sa fille Angélique est mariée, par contrat passé à la Bergerie le 12 septembre 1611, avec René Acarie, seigneur du Bourdet et de Crazannes, fils de Jean Acarie, chevalier, seigneur du Bourdet, et de Catherine de Belcier. Le 15 décembre de la même année, il fait aveu de la Bergerie à Jeanne de Saux, veuve de René de Rochechouart, seigneur de Tonnay-Charente (23). Il teste le 7 novembre 1621.
- Louis III, fils de Louis II, est dit seigneur de la Vallée le 11 juin 1620 et seigneur de Bayers, la Bergerie, la Vallée et autres places, les 16 août 1628 et 3 avril 1629 (24). Il est vivant en 1651.
- Louis-Antoine, fils aîné de Louis III, seigneur de Bayers, la Bergerie..., est vivant en septembre 1685.
- Mathieu, fils cadet de Louis-Antoine, marquis de Bayers, seigneur de la Bergerie, naît le 3 juillet 1660 à Paris et meurt le 21 juin 1721 à Paris, loin de ses seigneuries. Dans un mémoire de l'intendant Bégon sur la Généralité de la Rochelle commencé en 1698, il est présenté comme possédant Monthérault, Saint-Hippolyte et la Vallée (25). Dans un autre mémoire du même, daté de 1703, qui mentionne les seigneuries relevant directement ou non de " madame de Mortemart ", dame de Tonnay-Charente et des Fontaines de Beurlay, l'ensemble de ses seigneuries est évalué à 3 000 livres de revenu (26). De son vivant, une Marie-Anne de la Rochefoucauld est inhumée dans l'église de la Vallée, le 29 juillet 1711. L'acte d'inhumation la dit " haute et puissante dame Marianne de la Rochefoucauld, femme épouse de haut et puissant seigneur messire Jean François Isaac de la Cropte, chevalier, seigneur de Saint-Abre, baron d'Aixes et autres lieux, gouverneur de Salses en Roussillon, laditte dame seigneure de cette paroisse, Saint-Hipolite et Montereau, âgée de 65 ans ou environ " (27). Nous ignorons sa parenté avec Mathieu. Son fils unique meurt sans alliance en 1716. Mathieu-Roch, fils de Mathieu, meurt sans enfant le 15 mai 1749. La lignée des la Rochefoucauld s'éteint avec lui. Six ans plus tard, le 19 août 1755, c'est Henri-Joseph-Anne de la Cropte, neveu de Marie-Anne, qui est désigné comme seigneur (28).
La mouvance
Ce dernier acte est un aveu et dénombrement de la Massonnerie, qui relevait de la Bergerie. Il émane d'un certain Denis Foucaud, " bourgeois ", agissant comme mari de Marie-Catherine Tardy, donataire de feu Pierre Bourdeau des Fousseau, en son vivant curé de Saint-Hippolyte de Biard. Le fief est tenu à hommage lige, au devoir de cent sous ou d'un cheval de cette valeur, à muance de vassal, avec droits de moyenne et basse juridiction. La Massonnerie était située dans la partie de la paroisse de Saint-Hippolyte attribuée au seigneur de Tonnay-Charente en 1276 ; on ignore pourquoi elle relève de la Bergerie en 1755.
La Piègerie, dans la même paroisse de Saint-Hippolyte, était aussi le siège d'un fief relevant de la Bergerie. En 1549, le seigneur était Martin Brassard, écuyer. François de la Rochefoucauld, seigneur de la Bergerie, était en désaccord avec lui au sujet du tarif des bians. Il l'avait fait assigner au greffe du siège de Saint-Jean-d'Angély, pour prendre connaissance de ces tarifs, dans " le livre des coutumes " de la juridiction. Le 1er juin de cette année, le seigneur de la Bergerie s'est présenté au greffe, mais celui de la Piègerie a fait défaut (29).
D'autre part, Frédéric Chasseboeuf nous apprend que la Rigaudière, dans la même paroisse, relevait aussi de la Bergerie, puisqu'il signale que le seigneur de la Bergerie a accordé à celui de la Rigaudière le droit d'avoir une garenne et de faire bâtir une fuie, en 1571, et le droit de faire bâtir une forteresse en 1598 (30). Il doit s'agir de Louis 1er, seigneur de la Bergerie en 1571 après la mort de son père, et de son frère Pierre, seigneur de la Rigaudière du chef de sa femme Catherine Vigier. F. Chasseboeuf signale également qu'en 1395 le fief était tenu par une famille Rigaud qui a dû lui donner son nom. Cette famille devait descendre de P. Rigaut qui est désigné en 1276 comme un des huit " hommes " de Chales de Rochefort, auquel est attribuée la seigneurie de la Bergerie.
Notes
(1) La Nomenclature de l'INSEE pour 1954 signale une seule maison dans la commune de Saint-Hippolyte.
(2) P.-P. Burgaud, La Vallée, p. 206, et Frédéric Chasseboeuf, Châteaux, manoirs et logis, la Charente-Maritime, p. 407.
(3) Ancien style.
(4) Aujourd'hui " Fossé de la Borie ", qui sert de limite entre Saint-Hippolyte et la Vallée. Le nom Barbechou a été conservé pour le pont qui franchit le canal parallèle à la Charente, au sud.
(5) Pillay, village en limite d'Échillais et de Trizay. L'eau qui vient du moulin de Pillay est la partie inférieure de l'Arnoult, entre Pillay et la Charente.
(6) Leçon incertaine.
(7) Imbert Guy est un autre gendre du défunt seigneur de Tonnay, qui reçoit les Fontaines de Beurlay.
(8) Le Chizé, commune de Trizay.
(9) Vouillay : écart, commune de Saint-Agnant.
(10) Bibliothèque municipale de Saintes, ms 556-J, fonds Guillaud, copie de BN fr 26296, n° 17. Ces personnages sont des " hommes " qui sont attribués au seigneur de la Bergerie. Les noms de P. Rigaud et d'Estève Papelion ont été conservés dans les noms de villages la Rigaudière et la Papillonnière.
(11) Saint-Hippolyte et Monthérault. Nous ignorons si, et éventuellement comment, elle déborde sur la paroisse de la Vallée.
(12) Archives Historiques de la Saintonge et de l'Aunis, tome XIX, p. 364, n° 41, n° 42, n° 43. Dans l'analyse des actes, il est appelé par erreur Gérard de Rochefort.
(13) Ibid., p. 375, n° 123; p. 365, n° 46.
(14) Ibid., p. 368, n° 68.
(15) Abbé Brodut, Tonnay-Charente et le canton, tome I, p. 594-597.
(16) Courcelles, Pairs de France, tome 8, p. 118. Les indications postérieures qui sont sans référence sont empruntées à cet ouvrage. Verteuil, canton de Ruffec, Charente.
(17) Bayers, canton de Mansle, Charente.
(18) Dossier manuscrit provenant du cabinet D'Hozier, archives privées.
(19) En 1550 (Archives Historiques de la Saintonge et de l'Aunis, tome XV, 1887, p. 261).
(20) En 1563 et 1565 (Frédéric Chasseboeuf, dans Châteaux, manoirs et logis, la Charente-Maritime, p. 481).
(21) Dossier du Pinier, archives privées. L'hôtel du fief de Baconnay se trouvait dans la commune de la Vallée, près du bois de Sermaize.
(22) Dossier du Pinier.
(23) Abbé Brodut, Tonnay-Charente et le canton, tome II, p. 25-26.
(24) Dossier du Pinier.
(25) Archives Historiques de la Saintonge et de l'Aunis, tome II, p. 109, 119 et 126. Ce mémoire indique les principaux seigneurs de chaque paroisse. On lui attribue Monthérault parce qu'il en possède la principale partie, comprenant l'église. Dans son aveu de 1611, son aïeul Louis II signalait son droit de mettre sa litre à l'église de Monthérault, sous celle de la dame de Tonnay.
(26) Abbé Brodut, Tonnay-Charente et le canton, tome I, p. 209.
(27) P.-P. Burgaud, La Vallée, p. 86.
(28) Archives Historiques de la Saintonge et de l'Aunis, tome XV, p. 331-334 et note 1 p. 332.
(29) Ibid., tome XLIX, 1935, p. 178-179.
(30) Dans Châteaux, manoirs et logis, La Charente-Maritime, p. 376.
Publié dans Roccafortis, 3e série, tome IV, n° 23, janvier 1999, p. 26-29.