Observations sur les seigneurs et la châtellenie de Châtelaillon

(XIe siècle - XIIIe siècle)


Ces observations concernent un sujet traité il y a une vingtaine d'années, en deux articles : "Les seigneurs de Châtelaillon, vers 1005-vers 1135", et "La mouvance de Châtelaillon au XVIe siècle" (1). Dans le premier, j'ai proposé une généalogie des maîtres de la forteresse différente de celles de Faye, Cholet et Bruhat, qui datent du XIXe siècle et du début du XXe Dans le second, C. Gabet a étudié l'historique et la structure de la châtellenie, notamment au XVIe siècle. Depuis, A. Debord dans sa thèse et R. Favreau dans un article intitulé "Les débuts de l'histoire de l'Aunis" (2), ont eu l'occasion d'exprimer leur opinion sur tel ou tel point obscur ou controversé. La présente note ne fait donc qu'exposer mon point de vue actuel sur certains aspects des problèmes.

Les sujets de controverse ne manquent pas, en effet, sur l'histoire d'une des forteresses les plus énigmatiques de la région, à commencer par le nombre de ses maîtres qui appartiennent à la première famille connue. Je n'ai pas changé d'avis sur la succession que j'ai proposée il y a vingt ans, même si j'ai pu revoir certains détails entre temps. Je pense toujours qu'il n'y a eu que quatre soldats au commandement de la place, entre le principat de Guillaume le Grand (993-1030) et les environs de 1135 : deux Èble et deux Isembert, en alternance. Au moins la documentation est-elle assez précise pour affirmer que la succession s'est effectuée de père en fils.

La succession

Èble 1er, fort discret, est signalé au temps de la comtesse de Poitiers Emma, qui disparaît des textes après décembre 1004, mais il n'est pas certain qu'il soit dès lors installé à Châtelaillon (3). Il l'est cependant avant la mort du comte Guillaume le Grand (4). Il figure au nombre des personnalités réunies à l'occasion de la dédicace de Sainte-Marie de Saintes, en 1047 (5), puis on perd sa trace. Son fils Isembert 1er se signale en 1060 au plus tard (6) et ne fait plus parler de lui après le 28 août 1083 (7). Èble II peut être repéré avant septembre 1086 (8) et il tient le devant de la scène pendant une dizaine d'années, à l'occasion d'une violente querelle avec l'abbé de Vendôme, au sujet de Saint-Georges d'Oléron, qui se termine en 1096 (9). Enfin Isembert II, jeune encore au décès de son père, traite avec l'abbaye de Saint-Jean-d'Angély avant 1104 (10) et meurt retiré dans l'île de Ré, avant mars 1137 (11).

L'origine d'Èble 1er

Une des questions pendantes est celle de l'origine d'Èble 1er. On sait que c'est un
propinquus de la comtesse Emma mais la nature des relations entre le soldat et la comtesse est inconnue, propinquus étant le terme le plus vague qu'emploient les scribes de cette époque, consanguineus et cognatus, qu'on rencontre également, présentant l'un et l'autre l'avantage de signaler une relation de consanguinité. D'autre part, d'après une pièce du cartulaire de Saint-Jean-d'Angély, l'évêque de Poitiers Gilbert aurait eu un frère nommé Èble. C'est pourquoi A. Debord estime que Èble 1er de Châtelaillon peut être ce frère de Gilbert (12). Dans une étude sur la famille des évêques de Poitiers parue en 1971, j'ai rejeté ce frère parce qu'il n'est signalé qu'une fois, alors que les autres, Gaucelme, Isembert et Manasses, figurent souvent en compagnie du prélat (13). Je n'ai pas changé d'opinion depuis. Èble 1er de Châtelaillon meurt après 1047, alors que l'évêque Gilbert disparaît vers 1020, dernier survivant des quatre frères; il est ainsi d'une génération postérieure à celle de Gilbert et d'Isembert.

Les alliances

Les alliances des Châtelaillon ne sont pas mieux connues. On ne trouve pas trace de la femme d'Èble 1er. Quant aux épouses de ses successeurs, on hésite sur leur nom et on s'interroge sur leur origine. Dans trois actes de l'abbaye de Cluny qui se situent entre 1049 et 1060, Isembert 1er apparaît en compagnie d'une Claricia (14) et dans un quatrième, daté de 1067, il figure avec une Girberga (15). Richard le Poitevin, moine de Cluny, qui a eu accès aux archives de l'île d'Aix, au XIIe siècle, considérait que Girberga est le surnom de Claricia (16). Il s'est probablement trompé car les trois premiers actes présentent le futur Èble II comme fils d'Isembert et Claricia et le quatrième seulement comme fils d'Isembert.

L'épouse d'Èble II est dite tantôt Iveta, tantôt Vieta, tantôt Julita, tantôt Judit, voire Airellis/Aircellis (17). Même si les formes Iveta et Vieta peuvent être réduites à l'unité, en tenant compte des difficultés de lecture, les autres formes ne laissent pas de surprendre, surtout Airellis/Aircellis. Quant à la femme d'Isembert II, Aelina, son nom est déformé en Aliena dans une copie de la chronique de Richard le Poitevin relative à l'Aunis, de sorte qu'Elie Berger a pris ce mot pour un nom commun (18).

Quelques indices permettraient de supposer que Claricia est de la maison de Parthenay. En effet, elle a une fille nommée Aurengardis, nom de la femme de Guillaume 1er de Parthenay, un petit-fils appelé Guillaume, et un Guillaume de Parthenay souscrit un acte d'Isembert II (19). En fait l'épouse de Guillaume 1er de Parthenay est désignée sous le nom Arengarda (20) mais la confusion est fréquente entre Aren- et Auren-. On ne peut cependant être affirmatif sur l'origine de Claricia. Pour Iveta, l'épouse d'Isembert II, on sait qu'elle a reçu en dot des vignes à Laleu, qui "étaient du fief d'Hugues de la Motte" (21). Est-elle fille de ce dernier ? Celui-ci s'identifie-t-il avec le Hugues de la Motte qui a donné à Montierneuf de Poitiers des borderies à Saint-Flaive, en Bas-Poitou, et qui était fils de Roger, sénéchal du comte Guy-Geoffroy (22) ? Quant à Aelina, je ne vois aucune direction de recherche à son sujet.

Je mentionnerai pour mémoire une alliance qui a été maintes fois signalée : le jeudi 21 janvier 1076, le comte d'Anjou Foulque le Réchin célèbre ses noces avec Aurengardis, fille d'Isembert II. Quelques mois plus tard, pour le salut de sa femme, il donne un morceau de forêt au monastère de Saint-Nicolas d'Angers. Mais la lune de miel dure peu. Le 9 juin 1080, Aurengardis prend le voile à Notre-Dame de Beaumont, à Tours, loin des embruns de son château natal (23).

Il est évident que les Châtelaillon n'ont pas pratiqué ou n'ont pu pratiquer une politique matrimoniale analogue à celle de certaines familles, les Lusignan par exemple, pour lesquels chaque alliance ou presque a été une occasion d'ajouter quelque fief au patrimoine. Ils sont demeurés confinés dans leur seigneurie côtière, se contentant de dots dont une seule nous est partiellement connue. Quant à deux des épouses, le moins qu'on puisse dire est que les clercs ne sont pas tendres à leur égard. Pour l'abbé de Vendôme Geoffroy, Iveta réunit en elle toutes les formes du mal et elle s'est acquis une sinistre renommée (24). Aelina est unanimement désignée comme une des filles de Bélial, selon Richard le Poitevin, qui la considère comme à l'origine du malheur qui frappe Châtelaillon en 1130, quand le comte Guillaume le Toulousain s'en empare par la force : elle a des fils adultérins, auxquels les soldats d'Isembert II refusent d'obéir un jour et qui se révoltent (25).

La question de la seigneurie

A. Debord a signalé que le château appartient à l'origine aux comtes de Poitiers. Le fait est incontestable. Faut-il rappeler que c'est à Angoulins que l'autorité d'un comte de Poitiers s'exprime pour la première fois, en 934, et que les églises du même lieu, dédiées respectivement à saint Nazaire et à saint Pierre, sont données à l'abbaye de Bourgueil par Guillaume le Grand en 1002 (26) ? Le même Guillaume le Grand dispose des îles d'Ars et de Loix en faveur de l'abbaye de Saint-Michel-en-l'Herm (27). Quand Isembert II donne l'île d'Aix aux moines de Cluny, entre 1049 et 1060, il se désigne de son seul nom, sans aucune qualification, et vers 1058 Guillaume Aigret concède à Saint-Nicolas de Poitiers une part de ses recettes à Angoulins et à Voutron (28). Par contre, en 1067, Isembert II se qualifie dominus de Châtelaillon, en confirmant la possession de l'île d'Aix à l'abbé de Cluny (29). Cette confirmation est effectuée avec l'autorisation du comte Guy-Geoffroy, il est vrai, mais Isembert paraît avec le même titre quand il abandonne une corvée en faveur des hommes du prieuré de Saint-Vivien, et sans intervention du comte (30). L'acte nous apprend qu'il entretient un prévôt à Voutron. Il est probable qu'il a dès lors obtenu la seigneurie entière du comte Guy-Geoffroy, dans l'entourage duquel on le rencontre en quelques occasions (31).

Des soldats turbulents

Selon Bruhat, les Châtelaillon ont visé à établir leur emprise sur les abbayes de Saint-Maixent et de Saint-Jean-d'Angély (32). C'est interpréter abusivement quelques conflits locaux. En fait, les incidents avec Saint-Maixent concernent uniquement un morceau du marais de Mouillepied, proche du prieuré de la Font-de-Lay, et les démêlés avec Saint-Jean se limitent à des questions de droits dans les marais dépendant de l'obédience d'Yves. Si une notice de Saint-Maixent signale qu'à l'occasion d'un épisode, Guy-Geoffroy a "dévasté le château et la terre" d'Isembert 1er (33), la chronique du même monastère est muette sur le fait; elle ignore même superbement Châtelaillon et ses "sires". Les moines de Saint-Maixent sont en effet plus préoccupés par les agissements des Lusignan et des Parthenay qui leur doivent des hommages. Quant aux abbés de Saint-Jean-d'Angély, ils ont le regard aussi souvent tourné vers Taillebourg, dont les seigneurs tiennent d'eux les fiefs du Cluseau et de Malvau, ou vers Surgères, dont les châtelains ont des droits coutumiers dans l'abbaye elle-même, que vers Châtelaillon, même s'ils ne négligent en rien leurs intérêts dans les marais côtiers où leur établissement détient de nombreuses salines.

Il n'est pas question de nier l'audace de soldats qui se signalent par une insubordination notable aux comtes, même si le premier est un simple châtelain. Ainsi une notice de Saint-Michel-en-l'Herm, qui ne semble pas avoir été remarquée, mentionne que Guillaume le Gros a dû lui aussi "dévaster le château" de Châtelaillon afin qu'Èble 1er consente à rendre à l'abbaye poitevine les îles d'Ars et de Loix, qu'il avait reprises après la donation de Guillaume le Grand (34). Cependant des expéditions punitives de ce genre sont loin d'être exceptionnelles à l'époque. Il convient aussi de noter que la résistance opiniâtre d'Èble II aux excommunications successives qui l'ont frappé s'explique selon la "coutume" féodale : il tient Saint-Georges-d'Oléron par concession du comte de Poitiers et il rend le bien seulement par ordre du comte, quand le pape s'en prend directement à ce dernier en menaçant de frapper sa terre d'interdit. Il ne semble pas d'ailleurs qu'Èble obtienne une compensation de la part de Guillaume le Jeune; comme souvent, ce sont les moines qui font les frais de l'aventure, en donnant au seigneur de Châtelaillon la coquette somme de 150 livres (35).

La châtellenie

Le territoire contrôlé par les Châtelaillon est d'importance moyenne. Contrairement à ce qui est encore écrit de nos jours, il ne comprend pas toute la côte d'Aunis. Au nord, il ne dépasse pas la partie du goulet du Plomb sise dans la paroisse de l'Houmeau; au-delà commence un important domaine direct des comtes de Poitiers, qui apparaît plus tard rattaché au château de Benon et qui constituera au XIIIe siècle le "Grand Fief d'Aunis". Au sud, la châtellenie est limitée par la "besse de Pons Natalis", qui sépare les paroisses d'Yves et de Saint-Laurent-de-Girons - aujourd'hui "de la Prée" -, cette dernière placée sous l'autorité des seigneurs de Rochefort. Vers l'est, le territoire de Châtelaillon butte contre l'importante châtellenie de Surgères, qui s'avance jusqu'à Salles (36), et dont les châtelains héréditaires se montrent fidèles serviteurs des comtes. Ainsi les Châtelaillon, entourés presque entièrement de possessions comtales, ne sauraient constituer une menace effective pour les comtes de Poitiers qui n'ont aucune peine à réprimer leurs incartades. Èble 1er et Isembert 1er en font l'expérience : leur insubordination provoque une intervention énergique, que les textes ne signalent qu'occasionnellement, dans des notices relatant les avatars du domaine des abbayes. Il est vrai que la guerre de 1130, qui n'est connue que par une chronique locale, est un fait d'importance pour l'Aunis. Elle n'a pourtant rien de commun avec les conflits des Lusignan, des Parthenay ou autres, avec les comtes. Les circonstances en sont exceptionnelles : il s'agit de la lutte désespérée d'un seigneur sans héritier légitime, qui s'accroche à l'espoir que sa succession sera assurée par les bâtards de sa femme.

Le partage de la châtellenie

Après sa défaite, Isembert II se retire dans l'île de Ré, la forteresse de Châtelaillon est occupée par une garnison comtale et les rentes de la châtellenie sont partagées par moitié entre le comte et le seigneur vaincu. C'est du moins ce que rapporte la chronique de Richard (37). Quant aux événements postérieurs à la mort d'Isembert, pour s'en informer il faut s'en tenir à une notice qui relate les circonstances de l'érection de l'église Saint-Barthélémy, dans la paroisse Sainte-Marie de Cougnes (38). Or les termes de cette notice sont malheureusement aussi imprécis que ceux de la chronique de Richard; on y retrouve notamment "les fils de Bélial", c'est-à-dire les bâtards de Châtelaillon. Autant qu'on puisse saisir le déroulement des faits, on constate que les héritiers légitimes d'Isembert, Èble de Mauléon et Geoffroy de Rochefort, entrent en lutte avec ces "fils de Bélial", se querellent ensuite pour le partage des dépouilles d'Isembert et finissent par obtenir du roi Louis VII, devenu comte de Poitiers par son mariage avec Aliénor d'Aquitaine, la restitution de la forteresse et de la plus grande partie de la succession. C'est ainsi qu'Èble de Mauléon et Geoffroy de Rochefort apparaissent comme partageant l'autorité dans la paroisse de Cougnes, en 1152, quand l'afflux de population dans "le champ de Guillaume de Ciré", situé près du port de la Rochelle, détermine les moines de Cluny à construire une nouvelle église.

Les modalités du partage peuvent être perçues, pour l'essentiel, à travers des documents postérieurs, en particulier des aveux du XVIe siècle qui ont été analysés par C. Gabet. Èble de Mauléon obtient le château, les îles et la partie septentrionale de la châtellenie. Geoffroy de Rochefort a dans sa part les paroisses d'Yves, Voutron, Ballon, Thairé, le Thou, et un petit territoire au sud-est de la Rochelle qui prendra le nom de Petit Fief de Rochefort. Désormais l'autorité du château ne dépasse pas au sud les paroisses de Châtelaillon et de Saint-Vivien.

L'origine des droits d'Èble de Mauléon et de Geoffroy de Rochefort a été diversement expliquée (39). Le partage suppose que les deux hommes sont aux droits de deux soeurs, dont l'ancêtre d'Èble était l'aînée. D'autre part, l'alliance d'un Rochefort avec une Châtelaillon est perceptible par l'introduction du nom Èble dans la famille de Rochefort, à la génération des enfants de Geoffroy de Rochefort, décédé vers 1086, mari d'une Ausiria qui lui a survécu pendant une vingtaine d'années (40). Du côté des Mauléon, dont la généalogie n'est pas claire à ses débuts, Èble, le principal successeur d'Isembert II, est le premier connu à porter ce nom. Malgré les incertitudes des filiations, on peut considérer qu'Èble de Mauléon et Geoffroy de Rochefort sont cousins issus de germains, petits-fils de Raoul de Mauléon et Rivalia d'une part, de Geoffroy de Rochefort et Ausiria d'autre part. Ils se situent ainsi à la génération d'Isembert II, la troisième après celle d'Èble 1er de Châtelaillon.

Des Mauléon au Parthenay

Les Mauléon tiennent alors Châtelaillon pendant quatre générations. A Èble succèdent ses fils Raoul et Guillaume, puis son petit-fils Savary et son arrière-petit-fils Raoul, qui fait son testament en 1251. Selon Bruhat, c'est Aimeri de Thouars qui, en qualité de mari d'Alix, soeur de Raoul, aurait succédé à ce dernier comme seigneur de Châtelaillon et la châtellenie serait ensuite passée aux Parthenay par le mariage d'une fille d'Aimeri et d'Alix avec Guillaume de Parthenay (41). C'est inexact. Raoul de Mauléon avait trois demi-soeurs, qui étaient de beaucoup ses aînées : Alix, épouse de Guy de Thouars; Marquise, femme de Guillaume de Valence; et N..., mariée avec Geoffroy de Tonnay-Charente. Guillaume de Valence et Marquise ont eu une fille, nommée Valence, qui a épousé Hugues II de Parthenay. C'est ainsi qu'en 1265, Hugues II mande à un bourgeois de la Rochelle qui doit à l'abbaye de la Trinité de Poitiers une rente en sel, à la mesure d'Aytré, sur des salines d'Angoulins, de payer cette rente à la mesure qui était en usage lors de l'établissement de la rente, et non à la nouvelle qui est inférieure à l'ancienne, afin que l'abbaye ne soit pas lésée par la modification de mesure qu'il a décidée (42). Après le décès d'Hugues II, c'est son fils et héritier Guillaume Larchevêque qu'on rencontre comme seigneur de Châtelaillon, en 1283 et 1284 (43).

Le prieuré de Saint-Romard

Ma dernière observation concernera le prieuré de Saint-Romard, qui dominait la presqu'île de Châtelaillon. L'érudition moderne a déformé Saint-Romard en Saint-Romuald, d'après le nom du fondateur du monastère de Camaldoli, en Toscane, qui est décédé en 1027. C'est pourquoi A. Debord a considéré que le prieuré n'est pas antérieur au XIe siècle. Or c'est bien la forme Romard qui figure dans plusieurs actes, en particulier une notice du cartulaire de Saint-Cyprien de Poitiers que Rédet a datée des environs de 940, dubitativement, il est vrai (44). Et R. Favreau a trouvé trace d'un déplacement des reliques de saint Romard de Châtelaillon à Saint-Savin, lors des invasions normandes (45). Bien que ce saint ne soit pas identifié, il faut admettre l'existence très ancienne d'une chapelle de Saint-Romard à Châtelaillon, qui a été le siège d'un prieuré bien connu de l'abbaye de Saint-Michel-en-l'Herm (46).

La légende

Avant d'abandonner la forteresse de Châtelaillon au mystère dans lequel elle s'est enveloppée, je signalerai qu'elle a été de bonne heure objet de légende. Le nom de Castrum Julii, que lui attribuent plusieurs textes, suggère qu'elle a été considérée comme un "château de César". Ce nom figure dans un acte d'Isembert II du début du XIIe siècle, commençant par Ego Isembertus, dominus Castri Allionis et se terminant par Hoc autem factum est apud Castrum Julii, in capella Sancti-Nazarii (47). On le retrouve en 1139, quand Aliénor d'Aquitaine appelle le même seigneur Isembertus de Castro Julii (48), dans la notice relative à la fondation de Saint-Barthélémy de la Rochelle, dans la chronique de Richard le Poitevin, dans une enquête effectuée en 1247 (49). Plus tard, le roman en prose de Mélusine en livre tous les secrets : "Et avoit une tour grosse à trois lieues près (de la Rochelle), que Julius Cesar fist faire, et l'appeloit l'en pour lors la tour Aigle, pour ce que Jules portoit l'aigle en sa bannière, comme l'empereur. Et celle tour fist la dite dame (Mélusine) anvironner de grosses tours et de fors murs, et la fist nommer Chastel Aiglon" (50). Que pourrait-on ajouter, sinon que le nom de "château de César" est encore connu en 1604, au témoignage de Claude de Chastillon (51) ?

Notes

1. Bull. Soc. Géographie de Rochefort, 2e série, t. II, n° 9, 1971, p. 255-275.

2. Debord A., La société laïque dans les pays de la Charente, Xe-XIIe s., Paris, Picard, 1984, passim.
Favreau R., "Les débuts de l'histoire de l'Aunis", dans
Bull. Soc. des Antiquaires de l'Ouest, 5e série, t. IV, 1er trim. 1990, p. 11-38.

3. Emma est désignée dans un acte de Bourgueil du 27 décembre 1004. Pour la date, voir O. Guillot, Le comte d'Anjou et son entourage au XIe siècle, t. II, p. 33-34. Une notice du cartulaire de Saint-Nicolas de Poitiers (Archives Hist. Poitou, t. I, p. 30, n° XXIV) nous apprend que la comtesse a disposé du tiers de son alleu de Frouzille (commune de Saint-Georges-les Baillargeaux, Vienne) en faveur de son propinquus Ebalus Aloiensis, qui est dit Ebolus de Castello Allionis dans le titre. Comme cette notice date du temps d'Isembert 1er; il est possible qu'Eble y soit dit de Châtelaillon afin de l'identifier.

4. En effet, une notice du XVe siècle de l'abbaye de Saint-Michel-en-l'Herm signale que "Eblo de Chastellaillon conceu et conspira moult grande hayne contre lesd. de St-Michel, a cause du don à eux fait par led. Guillaume le Grant, duc de Guyenne [des îles d'Ars et de Loix]" (Arch. départ. Charente-Maritime, notes Marchegay, XVe siècle, n° 21, Ars, Ile de Ré).

5. Grasilier Th., Cartulaire de Notre-Dame de Saintes, p. 5, n° 1.

6. Bruel, Recueil des chartes de l'abbaye de Cluny, t. IV, p.179-181, n° 2982, p. 181-182, n° 2983, p. 185, n° 2986. Ces trois actes sont datés par l'éditeur : 1049-1060.

7. Arch. Hist. Saintonge et Aunis, t. XXXIII, p. 14, n° 399. L'acte est daté de la vacance du siège épiscopal de Saintes, après l'éviction de l'évêque Boson. Or ce dernier délivre une charte le 28 août 1083 (Cartulaire de Saint-Etienne de Baigne, p. 187, n° 460).

8. Arch. Hist. Saintonge et Aunis, t. XXXIII, p. 11-12, n° 346. Avant la mort du comte Guy-Geoffroy.

9. Ibid., t. XXII, p. 66-70, n° 38.

10. Ibid., t. XXXIII, p. 126-128, n° 467.

11. Il est décédé avant le départ de Guillaume le Toulousain pour Compostelle, d'après un acte de 1139 (Arch. Hist. Saintonge et Aunis, t. I, p. 25-26).

12. Debord A., op. cit. à la note 2, p. 216, note 152.

13. Duguet J., "La famille des Isembert, évêques de Poitiers, et ses relations (Xe-XIe siècles), dans Bull. Soc. Antiquaires de l'Ouest, 4e série, t. XI, 3e trim. 1971, p. 163-186.

14. Ce sont les trois actes mentionnés à la note 6.

15. Arcère L.-E., Histoire de la ville de La Rochelle et du pays d'Aulnis, t. II, p. 636-637, preuves n° 4 et Bruel, op. cit., t. IV, p. 522.

16. Berger E., Notice sur divers manuscrits de la bibliothèque vaticane - Richard le Poitevin, moine de Cluny, historien et poète, p. 45 note 3.

17. Iveta : Arch. Hist. Saintonge et Aunis, t. XX, p. 72-75, t. XXXIII, p. 126-128 (en concurrence avec Vieta); Yveta : ibid., t. XXXIII, p. 158-159, 163-164 ...
Julita : Arch. Hist. Poitou, t. XVI, p. 284-285; Faye, Mémoires de la Soc. des Antiquaires de l'Ouest, année 1846, p. 411, d'après Fonteneau, LXIII, p. 281.
Judit :
Arch. Hist. Saintonge et Aunis, t. XXII, p. 75.
Airellis, Aircellis : ibid., t. XXXIII, p. 12-13, n° 347.

18. Berger E., op. cit., p. 110, note 1.

19. Année 1114; Archives Hist. Poitou, t. XVI, p. 284-285, n° 258.

20. Grasilier Th., Cartulaire de Notre-Dame de Saintes, p. 144, n° 225.

21. Faye, op. cit. à la note 17, p. 411.

22. Archives Hist. Poitou, t. LIX, p. 94.

23. Guillot O., op. cit. à la note 3, p. 197, C 311, p. 198, C 313, p. 202, C 321(a).

24. Lettre n° XXXI, lib. III, de l'édition de 1640, p. 144-145 : à Ramnulfus, évêque de Saintes.

25. H. F., t. XII, p. 418-419 de l'édition de 1781.

26. Année 934 : Arch. Hist. Poitou, t. III, p. 319; 7 octobre 1002 : Besly, Histoire des comtes de Poictou, édition de 1647, preuves, p. 356-357.

27. Même référence qu'à la note 4.

28. Arch. Hist. Poitou, t. I, p. 11.

29. Même référence qu'à la note 15.

30. Arcère, op. cit., t. II, p. 638, preuves n° IV.

31. Besly, op. cit., p. 341; Arch. Hist. Poitou, t. LIX, p. 5; ibid., t. II, p. 126.

32. Bruhat L., La seigneurie de Châtelaillon, 969-1427, La Rochelle, 1901, p. 80.

33. Arch. Hist. Poitou, t. XVI, p. 286.

34. Même référence qu'à la note 4.

35. Arch. Hist. Saintonge et Aunis, t. XXII, p. 74.

36. Voir R. Machenaud, "La mouvance de la seigneurie de Surgères au XVIe siècle", dans Bull. Soc. Géographie de Rochefort, 2e série, tome II, 1967, p. 41-52, avec carte p. 46.

37. H. F., t. XII, p. 419.

38. Gallia Christiana, t. II, instrum. col. 462-463.

39. Voir en particulier Bruhat, op. cit. à la note 32, p. 86, et E. Jarry, Provinces et pays de France, t. II, 1943, encart entre les p. 254 et 255.

40. Voir mon article "Les seigneurs de Rochefort des environs de 1030 à 1300", dans Rochefort 1666-1966, Mélanges du tricentenaire de Rochefort, p. 9-25.

41. Loc. cit., p. 206, d'après Jourdan, Éphémérides historiques de la Rochelle, t. II, p. 223.

42. Arch. Hist. Poitou, t. LVII, p. 301-302, n° 193.

43. Arch. Hist. Saintonge et Aunis, t. XIV, p.104 (Amos Barbot).

44. Arch. Hist. Poitou, t. III, p. 319, n° 530.

45. Article signalé en note 2, p. 21, note 68.

46. Brochet L., Histoire de l'abbaye royale de Saint-Michel-en-L'Herm, Fontenay-le-Comte, 1891, Annexes III (bénéfices dépendant de l'abbaye) : "le prieur de Saint-Renouard" (pour "Remard").

47. Même référence qu'à la note 30.

48. Arch. Hist. Saintonge et Aunis, t. I, p. 25.

49. Arch. Hist. Poitou, t. XXV, p. 291, 292, 297, 308, 309, 310, 314, 317.

50. Marchegay P., Notices et pièces historiques..., p. 238-239, note 3.

51. Pierre Clion a récement publié la gravure du "chasteau de César" due à Chastillon (Revue de la Saintonge et de l'Aunis, tome XVII, 1991, p. 62).

Publié dans la Revue de la Saintonge et de l'Aunis, tome XIX, 1993, p. 7-13.