A propos de la coutume appelée "la fouillée"


Quelques jours avant le premier mai, en 1995, est paru dans " Sud-Ouest " un article signé Thomas Brosset, intitulé " Faut-il éradiquer la fouillée ? ", qui fournit quelques précisions sur une coutume de quelques communes de l'ancien Aunis. On y apprend que, dans la nuit du 30 avril au premier mai, des jeunes " sillonnent les villages pour y ramasser tout ce qui traîne dans les champs ou les cours de fermes " et le transporter sur les places publiques. Ils vont même au-delà puisque, à Ardillières, ils ont arraché de leurs socles les obus du monument aux morts et, ailleurs, ils ont démonté des volets, sorti des portails de leurs gonds, transporté des séries de pots de fleurs, déplacé des bancs publics, voire des camionnettes des services postaux. Des arrêtés municipaux d'interdiction sont demeurés à peu près sans effet.

L'auteur a enquêté sur l'origine de cette coutume mais n'a obtenu aucun renseignement précis, si ce n'est qu'elle paraît relativement récente et est en régression dans les " communes dortoirs " autour de la Rochelle. Il ne semble pas s'être préoccupé de son nom, qui évoque des coutumes ancestrales. Autrefois, en effet, non seulement les jeunes ruraux mais les " bourgeois " des villes célébraient le premier jour de mai. Ces derniers allaient quérir dans les bois des rameaux dont ils décoraient leurs demeures. Les jeunes hissaient des " arbres de mai " à des carrefours, devant les châteaux, plus tard devant les maisons des autorités.

Ce nom, qui évoque la quête de verdure, n'est certainement pas une création récente, car il ne correspond pas aux pratiques actuelles. Ce ne peut être qu'une reprise d'un terme usité autrefois, au temps du " mai " champêtre, mais quand et dans quelles conditions s'est-elle effectuée ? On manque malheureusement de documentation sur le folklore de l'Aunis. L'abbé Noguès, cependant, a laissé un renseignement relativement précis sur Rochefort : " S'il arrivait que l'on fût dans l'impossibilité de planter le mai, devant telle ou telle demeure, en raison, par exemple, d'un passage public, on procédait d'une autre façon. Au lieu de pavoiser un arbre, on tressait des guirlandes, que l'on plaçait diagonalement et que l'on attachait au sommet de quatre grandes perches ou bien aux toits des maisons. Au point d'intersection, on suspendait les couronnes, bouquets et livrées. Et c'est en dessous que l'on dansait. Il en est encore ainsi dans quelques partie de l'Aunis ". Et l'abbé ajoute en note : " A Rochefort " (1).

Une dernière remarque, concernant l'abandon de la coutume autour de la Rochelle. Cet abandon est caractéristique de la mentalité urbaine d'aujourd'hui. L'habitant des villes ne sait plus se distraire. Certes, les manifestations anciennes fêtant le retour du printemps ont donné lieu à des débordements, de la part d'une jeunesse qui a toujours aimé un certain désordre, pour s'affirmer dans un ordre institué par ses aînés, mais elles présentaient un caractère de spontanéité qui a disparu. Il est vrai que, quand les Rochefortins dansaient aux carrefours, il y avait moins d'automobilistes qu'aujourd'hui, mais il n'est pas moins vrai qu'actuellement les distractions des Rochefortais sont pris en charge par des associations ou organismes dont le moins qu'on puisse dire est qu'ils n'ont pas le sens de la tradition.

Note

(1) Abbé J.-L.-M. Noguès, Les moeurs d'autrefois en Saintonge et en Aunis, p. 68.

Publié dans Roccafortis, bulletin de la Société de Géographie de Rochefort, 3e série, tome II, n° 16, 1995, p. 366.