Les noms de personnes dans les épitaphes de Saint-Pierre de Melle

 

En annexe à un article intitulé "Fouilles du cimetière de l'église Saint-Pierre à Melle" ont été présentées "Cinq inscriptions latines trouvées sur des pierres tombales du cimetière paroissial de l'église Saint-Pierre de Melle", dans le bulletin de la Société Historique et Scientifique des Deux-Sèvres (troisième série, tome I, 2e semestre 1993, p. 429-442). La présente note est une analyse des noms de personnes qui figurent dans ces inscriptions.

1. Plate-tombe de Dalcisius (1)

Ce nom ne figure pas dans les index des recueils de documents régionaux. Marie-Thérèse Morlet a relevé Dulcisius, surnom qu'elle considère comme un dérivé du latin dulcis "doux", dans Leblant, Inscriptions chrétiennes (2). Si la leçon Dalcisius est certaine, on peut être en présence d'une altération de Dulcisius, sous l'influence de l'élément germanique dal-, -tal- (traité par Morlet, tome I, p. 64 b).

2. Plate-tombe d'Eberfredus (3)

Même remarque au sujet des recueils de documents régionaux. Composé des éléments germaniques eber (Morlet , tome I, p. 77) et frid-, bien connu (ibid., p. 93).

3. Plate-tombe d'Arnulfus (4)

Nom très connu, composé de arn- et wolf- (Morlet, tome I, p. 41 b), à l'origine du nom de famille Arnou(ld). Un abbé de Saint-Maixent appelé Arnulfus est désigné entre 898 et 923 (5).

4. Plate-tombe de Leuterius (6)

Nom composé des éléments germaniques leut-, liud- (Morlet, tome I, p. 158 et suivantes) et hari- (ibid., p. 124 et suivantes).

En Poitou, la diphtongue germanique eu est généralement représentée par eo. C'est ainsi qu'on relève S. Leotario en août 904 (7) et S. Leotarii en juin 927 (8). Cependant, cette diphtongue s'est réduite de bonne heure à son premier élément, e, de sorte qu'on rencontre S. Letarius en 894 (9), S. Letarii vers 920 (10), S. Leterio en 942 (11), S. Leterius en 967 (12), Leterius en 1029 (13) et en 1032 (14), etc. Les exemples sont nombreux, notamment dans le cartulaire de Saint-Cyprien de Poitiers.

La forme Leuterius de l'épitaphe apparaît ainsi comme une latinisation de qualité, en opposition avec les formes des documents diplomatiques. Ce nom est actuellement représenté par le nom de famille Lethier, que Dauzat n'a pas su identifier (15). Lothaire, proposé en traduction dans l'article, est un autre nom (Lotharius en latin; Morlet, tome I, p. 133 a).

Gisbrandus, nom du père de Leuterius, est absent des cartulaires poitevins, mais ses deux éléments sont facilement identifiables. Sous gis-, Morlet a cité Giseprandus (tome I, p. 109 b), en référence à une charte de Cluny de l'an 971, où prand- est une variante phonétique de brand-.

5. Epitaphe de Godemerus (16)

Godemerus est composé des éléments germaniques god- (Morlet, tome I, p. 111) et mer- (ibid., p. 168, mari-).

L'acte qui est mentionné p. 442 note 12 est le même que celui qui est signalé p. 379 note 3 (Richard, Chartes et documents pour servir à l'histoire de l'abbaye de Saint-Maixent). En octobre 950, Èble, évêque de Limoges et abbé de Saint-Maixent, baille à un Godemerus et à sa femme Ermengardis une terre de Saint-Maixent, "vicina Metulo castro, super alveo Beronna, ubi edificatum est sancti Petri oratorium", pour y planter une vigne. Durant les cinq premières années, la récolte sera entièrement aux preneurs. Au bout de cinq ans, la surface plantée en vigne sera arpentée et partagée entre bailleur et preneur, chaque partie étant alors libre d'user de sa part à sa guise (17).

Ce Godemerus n'est pas celui du cimetière, à moins que, devenu veuf, il se soit remarié avec Goda. Toujours est-il que Godemerus et Goda ont en commun le premier élément de leur nom. En effet, Goda est une forme familière d'un nom composé en god-, qui devait être déclinée Goda--anis. Dans le cartulaire de Saint-Cyprien de Poitiers figurent une Godelinda, soeur d'Ainarius, en 888 (18) et une Godelendis, femme de Letardus, en 1025 ou 1026 (19). On peut aussi concevoir un Godesendis/Godesindis, l'élément -send/-sind étant assez fréquent en seconde position. Dans l'intimité Goda devait appeler son mari Godo (-onis).

L'épitaphe d'Ermengardus ou Ermengardis

Le nom de la femme du Godomerus d'octobre 950 renvoie à une autre épitaphe provenant également du cimetière de Saint-Pierre de Melle, qui a été étudiée par les auteurs du "Corpus des inscriptions de la France médiévale" (20). Cette épitaphe comporte corpus Ermeniardi. L'interprétation du i est sans difficulté : il faut lire j; le rédacteur a noté la palatalisation du g devant a. Il n'en est pas de même de la désinence. Si celle-ci est correcte, nous sommes en présence d'un nom d'homme : Ermengardus. Jusqu'à maintenant, on a préféré considérer cette désinence comme fautive et on a corrigé en Ermenjardis. Il est incontestable que Ermengardis est bien attesté dans notre région, mais le nom d'homme Ermengardus est attesté lui aussi, quoique beaucoup plus rarement; Morlet en signale trois cas, notamment en 940, dans le cartulaire de Brioude (tome I, p. 82 b). Il n'est donc pas impossible que la sépulture soit celle d'un homme appelé Ermengardus.

Un problème analogue de désinence est posé par une épitaphe provenant de Saint-Maixent (21), qui s'apparente à la précédente par sa formulation. En l'occurrence, cependant, c'est un féminin qui semble substitué à un masculin : "corpus Akhardis" surprend, dans un contexte régional où Acardus est bien représenté, avec le génitif Acardi. S'agit-il d'une erreur de graveur ? Cette interprétation est plausible, Morlet ne citant qu'une forme féminine analogue, Agardis, dans le polyptyque d'Irminon (tome I, p. 21 a).

Dans les documents diplomatiques, il est généralement facile de déterminer le sexe des intervenants, les femmes, moins présentes, étant souvent désignées comme telles. Il n'en va pas de même dans les cimetières. Le doute subsiste donc sur le sexe des deux personnes ci-dessus, les génitifs incriminés n'étant pas nécessairement fautifs, dans des textes à la langue relativement correcte, en contraste flagrant avec les inscriptions mérovingiennes. On est loin en effet du Teodovaldo labede non revolvatur d'une inscription d'Antigny (Vienne), où le latin lapis est à peine reconnaissable en labede et où Teodovaldo est au lieu et place d'un génitif, et loin aussi du Gunderamnosom de Chauvigny (Vienne), qu'il faut scinder en Gunderamno som et interpréter Gunderamnus sum.

Notes

(1) P. 431, avec photo p. 430.

(2) Marie-Thérèse Morlet, Les noms de personnes sur le territoire de l'ancienne Gaule du VIe au XIIe siècle, tome II, p. 43.

(3) P. 433, avec photo p. 432.

(4) P. 435, avec photo p. 434.

(5) Archives Historiques du Poitou, tome XVI, p. 20.

(6) P. 437, avec photo p. 436.

(7) Archives Historiques du Poitou, tome XLIX, p. 60 et 61; original.

(8) Ibid., p. 79; original.

(9) Mémoires de la Société des Antiquaires de l'Ouest, année 1847, p. 15; original.

(10) Archives Historiques du Poitou, tome XLIX, p. 76; original.

(11) Ibid., p. 94; original.

(12) Archives Historiques du Poitou, tome XVI, p. 53; Fonteneau d'après l'original.

(13) Ibid., p. 105, original.

(14) Ibid., p. 111, Fonteneau d'après le cartulaire.

(15) Dictionnaire étymologique des noms de familles et prénoms de France, Larousse, 1951, p. 386.

(16) P. 439-442, avec photo p. 438.

(17) Archives Historiques du Poitou, tome XVI, p. 30-31.

(18) Ibid., tome III, p. 248.

(19) Ibid., p. 175.

(20) R. Favreau, J. Michaud, E.-R. Labande, Corpus des inscriptions de la France médiévale, I, Poitou-Charentes, 3, Charente, Charente-Maritime, Deux-Sèvres; Centre d'Etudes Supérieures de Civilisation médiévale, Poitiers, 1977, p. 143-145.

(21) Épitaphe étudiée dans Corpus des Inscriptions de la France médiévale, I, Poitou-Charentes, 1, Poitiers, Centre d'Études Supérieures de Civilisation médiévale, Poitiers, 1974, p. 126-127.

Non publié.