LA CARRIÈRE DE L'ARCHIDIACRE DE THOUARS LÉGER

1096-1120

C'est en 974 ou 975 qu'on rencontre pour la première fois trois archidiacres dans le diocèse de Poitiers (1), mais seulement vers 1020 que les trois dignitaires sont désignés chacun avec une affectation : Poitiers, Thouars et Brioux (2). En fait, les actes ne mentionnent que très exceptionnellement ces affectations; aussi toute chronologie est-elle subordonnée à un examen minutieux des conditions d'intervention des personnages.

Les conditions permettent d'affirmer qu'à la fin de l'épiscopat d'Isembert II, c'est Pierre de Chauvigny qui est archidiacre de Thouars. En cette qualité, on voit celui-ci souscrire trois actes relatifs à Saint-Laurent-sur-Sèvre, qui est situé dans l'archidiaconé de Thouars : une fois seul (3) et deux fois en première place dans la liste des archidiacres (4). De plus, quand Isembert II confirme un jugement de l'évêque d'Angers relatif à l'obédience de Méron, qui dépend de l'abbaye de Saint-Aubin d'Angers mais qui est située dans le doyenné de Thouars, il est assisté du seul Pierre (5).

En février 1087, Pierre a remplacé Isembert à l'évêché de Poitiers; nous l'appellerons désormais Pierre II (6). Qui a-t-il désigné pour le remplacer à Thouars ? Nous l'ignorons. Le père de Monsabert a daté de 1087 un acte d'Hugues de Lusignan se préparant à aller en Espagne, "contre les Sarrasins", acte souscrit par Pierre II et les archidiacres Raoul, Léger et Pierre Gautier (7). Il a supposé que ce départ coïncidait avec l'expédition de 1087 contre les Almoravides, mais un doute subsiste parce que les interventions des Français en Espagne ont continué après 1087 (8). Si la date de 1087 était justifiée, Léger serait alors affecté à Thouars, les deux autres étant connus pour être respectivement représentants de Brioux et de Poitiers

Quoi qu'il en soit, Léger apparaît comme archidiacre de Thouars une dizaine d'années plus tard, le 10 février 1096, dans un acte par lequel Pierre II rétablit la discipline ecclésiastique dans l'abbaye d'Airvault (9). On ne le suit alors que pendant trois ans environ. Le 31 mai 1097, son nom figure dans une notice du même évêque relatant un déplacement qu'il a effectué à Saint-Michel-en-l'Herm, pour trancher un différend au sujet des églises de la seigneurie de Raymond de Brem (10). Le 15 janvier 1099, il souscrit pour son évêque qui donne à l'abbaye de Saint-Maixent les églises de Nanteuil, d'Augé et de Romans (11). Cependant il n'est plus en place le 31 mars suivant : il est alors remplacé par Guillaume, parmi les souscripteurs d'une générosité de Pierre II en faveur de l'abbaye de Saint-Amant-de-Boixe (12).

Il a en effet abandonné le diocèse de Poitiers pour celui de Bourges; c'est ainsi qu'à la fin d'avril 1099, il assiste au concile de Rome en qualité d'archevêque de Bourges (13). Il ne rompt pas toutefois avec Poitiers et, dans les premières années de sa nouvelle charge, on le voit intervenir dans les affaires de son ancien diocèse. Avant le 23 mai 1100, il souscrit en compagnie des archidiacres Hervé, de Brioux, et Pierre Gautier, de Poitiers, et en l'absence de celui de Thouars, une confirmation des acquisitions de l'abbaye de Saint-Cyprien, faite par Pierre II à la demande de l'abbé Rainaud (14). En 1104 ou 1105, un plaid réunit autour du duc et de l'évêque une nombreuse assistance de dignitaires ecclésiastiques, pour terminer un conflit entre l'abbaye de Saint-Maixent et Hugues de Lusignan; c'est encore Léger qui représente le pays thouarsais; il est désigné en tête des assistants (15). C'est sans surprise qu'on le voit présider, en 1107, une cour convoquée par l'évêque pour trancher un litige au sujet de la possession de l'église Saint-Laon de Thouars; parmi les chanoines de Saint-Laon délégués pour défendre les intérêts de leur communauté, on remarque un certain "maître Chauchard, archidiacre de Bourges", qui a dû être appelé en Berry par l'ancien archidiacre de Thouars (16).

On le voit aussi intervenir auprès de Saint-Hilaire de Poitiers, en faveur de particuliers. Ainsi, il garantit l'octroi d'une prébende du chapitre à un nommé Arbaud, frère d'un Guillaume (17). Il sollicite et obtient, pour ses neveux Guillaume et Herbert, la concession à vie de vignes sises aux Arcs de Parigny, près de Poitiers, par l'abbaye de Saint-Laurent et Saint-Hilaire de Longrets, filiale de Saint-Hilaire de Poitiers; il lui en coûte un marc et demi d'argent (18). Ce Guillaume est peut-être celui qui a été archidiacre de Bourges (19).

En effet, l'archevêque de Bourges et primat d'Aquitaine n'abandonne pas la pratique bien connue du népotisme. Cependant son administration du vaste diocèse berrichon, qui a été traitée par ailleurs (20), dépasse le cadre de cette note. Nous ignorons tout de l'origine du personnage, qui est décédé le 31 mars 1120 et a été inhumé dans le diocèse qu'il a administré pendant une vingtaine d'années, au prieuré d'Orsan fondé par son ami Robert d'Arbrissel (21).

Notes

(1) Ce sont Launon, Boson et Maingaud (Archives Historiques du Poitou, tome III, p. 115, n° 178).

(2) Rorgon à Poitiers, Fouque à Thouars et Alon à Brioux (Ibid., p. 120, n° 185).

(3) Archives Historiques du Poitou, tome III, p. 101-102, n° 150 (vers 1085).

(4) Ibid., p. 102, n° 152 (année 1086) et p. 104, n° 154 (année 1086).

(5) De Broussillon, Cartulaire de l'abbaye de Saint-Aubin d'Angers, tome 1, p. 267, n° CCXXII. Le jugement est daté du 15 mai 1087 mais il y a probablement erreur pour l'année. Méron, canton de Montreuil-Bellay, Maine-et-Loire. Pour la localisation de Méron dans le doyenné de Thouars, voir Beauchet-Filleau, Pouillé du diocèse de Poitiers, p. 69.

(6) La chronique de Saint-Maixent fixe son ordination au 22 février (édition J. Verdon, p. 146) mais cette année-là le 22 février est un lundi.

(7) Archives Historiques du Poitou, tome XLIX, p. 248-250, n° 157.

(8) Boissonnade P., Du nouveau sur la Chanson de Roland, p. 33 et suivantes.

(9) Beauchet-Filleau H., "Recherches sur Airvau, son château et son abbaye", dans Mémoires de la Société des Antiquaires de l'Ouest, 1857, p. 278-281, d'après l'original.

(10) Cartulaire de l'abbaye de Talmond, n° 66; dans Mémoires de la Société des Antiquaires de l'Ouest, année 1872, p. 140-142.

Saint-Martin de Brem, canton de Saint-Gilles, arrondissement des Sables-d'Olonne, Vendée.

(11) Archives Historiques du Poitou, tome XVI, p. 231-232, n° CXCIX.

(12) Debord (André), Cartulaire de Saint-Amant-de-Boixe, p. 158-159, n° 119.

(13) Gallia Christiana, tome II, colonne 46.

(14) Archives Historiques du Poitou, tome III, p. 11-14, n° 9.

(15) Ibid., tome XVI, p. 240-241, n° CCIX.

(16) Mémoires de la Société de Statistique des Deux-Sèvres, 1875, p. 6-8; cartulaire de Saint-Laon de Thouars, n° 4; et Archives Historiques du Poitou, tome II, p. 55-58, n° XL.

(17) Année 1102 ou 1103. Mémoires de la Société des Antiquaires de l'Ouest, année 1847, p. 114-115, n° CIV.

(18) Ibid., p. 120, n° CIX.

(19) Gallia Christiana, tome II, colonne 47.

(20) Voir notamment : Devailly (Guy), Le Berry du Xe siècle au milieu du XIIIe, Paris-La Haye, 1973, passim.

(21) Gallia Christiana, tome II, colonne 47.

Orsan, commune de Maisonnais, canton de Châtelet-en-Berry, Cher.

Publié dans le bulletin de la Société Historique et Scientifique des Deux-Sèvres, 3e série, tome I, 1er semestre 1993, p. 227-230.