QUELQUES DOCUMENTS
SUR LES PÈLERINAGES ET LES PROCESSIONS
Un pèlerinage consécutif à un voeu
" Avril 1539. Le 8 fut coucher à l’Aulnaye et le lendemain à Fontenay. Le lendemain fut faire mon voyage à Notre-Dame de Brusson, près Fenioux, avec M. de l’Aulnaye qui m’y avoit voué durant ma maladie. " (Journal de Guillaume et Michel Leriche, Saint-Maixent, 1846, p. 23-24).
Dans son Dictionnaire topographique des Deux-Sèvres, Ledain mentionne le prieuré de Saint-Marc de Brusson, commune de Fenioux, mais non la chapelle de Notre-Dame.
Un pèlerinage annuel à l’Ajon, commune de l’Houmeau, Charente-Maritime, pour la sainte Quiterie (22 mai)
A l’Ajon, les religieux de Moureilles avaient consacré à sainte Quiterie une chapelle qui, le jour de sa fête, attirait une foule considérable de pèlerins, venus des lieux les plus éloignés pour être guéris " du mal de teste et estourdissement de cerveau ". En 1613, le grand vicaire Gasteau fait une enquête qui révèle que hommes et femmes se coupent les cheveux et les cachent dans les trous des murs de la chapelle, que le desservant ne peut les empêcher de déposer sur l’autel chapeaux, bonnets, " couvre-chef tout coiffé, ceintures, linceuls, chemises et autres choses ". Plusieurs portent des " couronnes de chandelles sur la teste ou en entourent leur corps ". Le prieur de Lagord avoue que c’est alors " grande confusion ", à laquelle participent d’ailleurs des " prestres qui viennent de plusieurs endroits, pour dire les Evangiles sur les personnes venues en pèlerinage et font à qui en dira le plus ".
Pour mettre fin à ces abus, le grand vicaire ordonne l’envoi d’un prédicateur à l’Ajon, le jour de la fête de la sainte, pour " exhorter le menu peuple à s’abstenir de ces choses grandement desplaisantes à Dieu ". Cette décision ne réjouit pas le fermier qui paye 200 livres pour exploiter les revenus de la journée (D’après J.-B.-E. Jourdan, Ephémérides historiques de la Rochelle, tome 1, p. 166-167).
L’histoire ne dit pas si le prédicateur a été assez persuasif pour dissuader " le menu peuple ".
Pèlerinages des habitants de Saint-Jean-d’Angély aux XIVe et XVe siècles
Les archives de l’échevinage de Saint-Jean-d’Angély sont une mine de renseignements de divers ordres. Elles ont été publiées dans trois tomes des Archives Historiques de la Saintonge et de l’Aunis, un peu rapidement, semble-t-il, dans la mesure où l’éditeur n’a pas pris soin de classer clairement par années les procès verbaux des séances municipales. Les pèlerinages suivants sont cités dans ces procès verbaux. On remarquera que certains sont ordonnés par la cour du maire.
- à Sainte-Radegonde de Courant, Charente-Maritime
Un nommé Jean Raber fait défaut à une citation devant le tribunal du maire, " sauve la raison de son exoine (excuse) du voyage de Sainte-Radegonde, près Courant, apportée par Perrine Fradet qui l’a juré " (AHSA XXVI, 1897, p. 374).
C’était la chapelle d’un prieuré dépendant de l’abbaye de Châtres, près Cognac. Denys d’Aussy signale en note, en 1897, que la chapelle " est encore un lieu de pèlerinage fréquenté ". Leproux ajoute des détails, d’après une enquête effectuée par Aurore Lamontellerie en 1952 : la chapelle s’élève non loin de trois fontaines qui passaient pour guérir les maladies cutanées et donner des forces aux enfants malingres. Au XIXe siècle s’y tenait une assemblée de trois jours, à partir du 13 août, fête de la sainte (Dévotions et saints guérisseurs, p. 142-143).
- à Saint-Eutrope de Saintes
Vers 1395, Jean Vassot le jeune fait défaut " sauve son exoine de voiage de Saint-Eutrope de Xaintes, apporté par Périn Gillebert, qui le jure " (AHSA XXVI p. 35).
Le vendredi 26 juin 1412, Guillaume Carbuteau demande en justice à une femme " un doublet en quoi il avait draps, linges et autres choses qui pouvaient bien valoir la somme de vingt sous ", qu’il lui a confié en garde la veille de la saint Jean-Baptiste. L’affaire est renvoyée au lendemain mais le plaignant fait défaut parce qu’il est parti en " voyage de Saint-Eutrope de Xainctes " (ibid., p. 308).
Le 26 juin 1416, Jean Peluchon " s’est mis à l’ordonnance de la cour pour avoir transmis sa femme pour l’excuser envers Guillaume Airaut du voyage de Saint-Eutrope : il a été trouvé qu’il était allé au bois querir de la bûche " (AHSA XXXII p. 185).
- à Notre-Dame de l’Ile, commune de Saint-Léger, près de Pons
Plusieurs excuses sont présentées au tribunal pour cause de " voiage à Nostre- Dame de Lilea ", en 1374 (AHSA XXIV, 1895, p. 185), en 1395 (ibid., p. 444), " de Nostre-Dame de Lisle " en 1399 (AHSA XXVI, 1897, p. 122). Elles sont d’autant plus facilement admises - à condition, bien entendu, que la preuve du voyage soit administrée - que la cour du maire condamne parfois au même voyage. Ainsi, le 24 novembre 1410, le prévôt du roi en la ville conduit au tribunal municipal un nommé Gastevin, détenu dans les prisons royales, au château de Saint-Jean, pour avoir pris à un quêteur la somme de six sous trois deniers. Voici la sentence : " Attendu qu’il a été longuement en prison au pain et à l’eau, avons dit et déclaré par notre avis et jugement, présent et accordant le dit prévôt, que, pour cause et occasion du fait dessus dit, il ira et fera un voiage à Nostre-Dame de l’Islea, un cierge de demie livre de cire en sa main, et fera dire une messe pour la santé du roi notre sire, dedans la feste de saint Hilaire prochaine venante [14 janvier], et en apportera certification et rendra au dit questeur le dit argent. " (AHSA XXVI, 1897, p. 295-296).
Le lundi 6 novembre 1413, le prévôt royal présente au lieutenant du maire un nommé Alain Hugues, qui a lui aussi été longuement détenu en prison, pour " avoir fait le pillard au lieu de Voissay ". En " pénitence ", l’accusé est condamné, " afin que Dieu donne bonne vie au roi et le veuille tenir en santé, d’aller pieds nus et en lange, en pain et en eau, à Notre-Dame de Lisleau, et de ce apporter à la cour de céans certification du chapelain du dit lieu, dans la feste de Noël prochaine venante. " (AHSA XXXII, 1902, p. 92).
Notre-Dame de l’Ile était le siège d’un prieuré dépendant de l’abbaye de Saint-Cyprien de Poitiers. La chapelle a été " réédifiée " pour cause de destruction, entre le 30 août 1385 et le 19 novembre 1387, puis consacrée le 16 mai 1389 ; la notice contemporaine qui nous a transmis ces renseignements mentionne d’autre part que " le premier fondateur fut Charlemagne qui la fit faire " (AHSA IX, 1881, p. 369). Un compte rendu d’une visite effectuée vers 1885 signale qu’à cette date la chapelle sert d’étable, qu’une " sorte d’armoire " est aménagée dans le mur sud, ouverte à l’extérieur, devant laquelle " les populations viennent encore aujourd’hui accomplir des voeux, formuler des prières et faire sauter des vieux sous en récitant l’invocation du saint ou des saints dont ils croient que leurs enfants sont battus. " (Texte signé Cazaugade, dans Recueil de la Commission des Arts et Monuments de la Charente-Inférieure, tome VIII, 1885-1886, p. 365-366).
- à Saint-Antoine
Le samedi 3 juillet 1395, le valet d’un maréchal profite d’une absence de son maître pour s’emparer d’objets précieux contenus dans une " arche " [un coffre]. Il est arrêté peu après et son interrogatoire nous apprend que le maître et sa femme étaient alors " en voiage de Saint-Antoine de Bouthière " (AHSA XXIV, 1895, p. 438).
Le samedi 10 mars 1425, des nommés Belet ont présenté comme excuse pour absence un " voiage de Saint Antoine " mais l’excuse n’a pas été reçue (AHSA XXXII, 1902, p. 360).
- à Sainte-Catherine
En 1396 ( ?), un nommé Jean Bourdet, cité devant le tribunal municipal, se fait représenter par sa femme parce qu’il est en " voiage de Sainte-Catherine " (AHSA XXIV, 1895, p. 443).
Il s’agit probablement de Sainte-Catherine-de-Fierbois (canton de Sainte-Maure, Indre-et-Loire), célèbre pour son pèlerinage aux XIVe et XVe siècles. On y vénérait Catherine d’Alexandrie, dont l’hagiographie contemporaine met pourtant l’existence même en doute. Un " livre des miracles " de la sainte, qui concerne la période 1375-1470, a été conservé ; il a été publié par Yves Chauvin dans le tome LX des Archives Historiques du Poitou. Deux pèlerinages d’habitants de Saint-Jean-d’Angély y sont mentionnés, respectivement le 26 mai 1385 (frère Jean, gardien des frères mineurs) et le 3 décembre 1446 (Mathurin Pavet, bourgeois et pair) (p. 16 et 116).
- à Notre-Dame de Rocamadour
Année 1399 : " Aujourd’hui, Jean de ... a apporté la lettre de certification du prieur de Notre-Dame de Rochemadour et l’a présentée en plénière mesée, parce qu’il lui avait été baillé en pénitence d’aller là et prier pour le roi notre sire et sa noble lignée. " (AHSA XXVI p. 92-93).
- à Notre-Dame du Puy
Le 8 mars 1418, cinq criminels sont condamnés à mort. Un sixième, qui les accompagnait, bénéficie de circonstances atténuantes et s’offre comme bourreau. Il est acquitté " pour faire et accomplir ladite exécution " et, en outre, il lui est enjoint " de faire un voyage bien duement à Notre-Dame du Puy, en Auvergne, pour la santé du roi notre sire, dont ledit Colas sera tenu d’en apporter certification suffisante. " (AHSA XXXII p. 221).
- à Saint-Berthomé
La cour demande vérification d’un " voyage de Saint-Berthomé " allégué pour absence à une audition (AHSA XXVI, 1897, p. 159).
- à Rome à l’occasion d’un pardon
Le 2 octobre 1397, la femme d’un juré de la commune prévoit par testament que son mari ira à Rome à l’occasion du pardon de l’an 1400 et qu’il donnera cinq écus à quatre chapelains " pour chanter messes pour le salut de son âme " (AHSA XXVI, 1897, p. 81).
La cour du maire, prévoyant de nombreux départs à l’occasion de ce pardon, fait savoir à plusieurs reprises aux habitants que ceux qui feront le voyage ne seront pas dispensés des services de guet, arrière-guet, réparations et fortifications de la ville, qu’ils doivent prendre leurs dispositions pour se faire remplacer ou qu’autrement les services seront faits par d’autres et leurs meubles et immeubles seront saisis comme gages, en attendant qu’ils règlent les frais afférents à leur remplacement (AHSA XXVI, 1897, p. 106-107). Cette précaution est justifiée par la menace de la guerre, le sénéchal ayant ordonné de mettre la ville en état de défense (ibid. p. 108).
- un long pèlerinage
Le mardi 22 décembre 1416, se présente devant la cour le procureur de Jean Chauveau, bourgeois de la ville, ancien maire, qui a été ajourné à comparoir en personne, en la cour de parlement, le 9 février suivant. Le procureur affirme que Chauveau est absent de la ville et que, dès la semaine précédant les Rameaux de l’an 1416, il est parti en " voyage de Notre-Dame du Puy, en Auvergne, à Saint-Antoine en Viennois, à Saint-Pierre de Monmayour et en plusieurs autres voyages hors de ce royaume " et qu’il n’en est pas encore revenu. Le même procureur a fait venir comme témoin un écuyer, seigneur de Maumont, en Limousin, qui jure de sa bonne foi que, le lundi ou le mardi avant la fête des Rameaux 1416, en allant de la Rochelle à Angoulême où il habite, il est passé par Saint-Jean où il a rencontré le dit Chauveau qui cherchait compagnie pour aller à Notre-Dame du Puy. L’écuyer lui a dit qu’il devait un voyage en ce lieu et qu’en conséquence il acceptait volontiers de l’accompagner. Il a donc attendu jusqu’au mercredi et les deux hommes sont partis ensemble. Ils se sont séparés à Notre-Dame du Puy, en Auvergne, l’écuyer ayant accompli son voeu, et Chauveau a continué en direction de Saint-Antoine et Saint-Pierre de Monmayour, et de là plus avant, " au saint voyage d’outre mer, s’il pouvait trouver passage " (AHSA XXXII, 1902, p. 192-193). Il semble bien que ce long pèlerinage soit une mesure de précaution prise par l’ancien maire pour se dérober à des poursuites.
La procession dite " de la blée "
Elle faisait le tour de la paroisse ; le 6 mai, jour de la saint Jean en mai, à Bouresse (1522, cure de Bouresse), le 25 avril, jour de la saint Marc, à Morthemer (1681, chapitre de Morthemer), etc. (Rédet, Dictionnaire topographique de la Vienne, article Blée [chemin de la]). Son nom indique qu’elle avait pour objet la protection des céréales.
La procession de la saint Marc, à l’Houmée (Aguiaine mai-juin 1991, tome XXIII, 3e livraison, p. 199) est probablement aussi destinée à la protection des récoltes. Van Gennep signale " les processions autrefois très importantes de la Saint-Marc Evangéliste du 25 avril " parmi les " cérémonies et rites de protection et de croissance des récoltes " (Manuel, tome 1, 5, p. 2143).
Une procession votive annuelle à la chapelle Saint-Roch à Pons
Marc Leproux a signalé cette procession en mentionnant qu’elle est consécutive à un voeu fait en 1631, à l’occasion d’une épidémie, et renouvelé en 1721, mais en ne fournissant aucune référence (Dévotions et saints guérisseurs, p. 184). Les deux textes ont été publiés par Louis Audiat en 1877, dans le tome IV des Archives Historiques de la Saintonge et de l’Aunis (p. 393-395 et 404-406). En fait, un seul document, daté du 2 mars 1721, nous est parvenu pour les deux événements. C’est un acte de renouvellement d’un voeu de 1631, qui reprend les termes d’un procès-verbal établi le 14 septembre 1631, lors du voeu. Audiat a publié ce texte avec la référence suivante : " Extrait des papiers de Guillaume Ferret, curé de Saint-Martin de Pons, et copié par lui dans les mémoires des P. Récollets et les registres de la paroisse. Archives de M. l’abbé Brunaud, curé du Chay ". Ceci n’est pas très clair ; peut-être la double origine s’applique-t-elle à l’ensemble des notes prises par Guillaume Ferret, que l’abbé Brunaud a obtenues par legs de l’auteur, toujours selon Audiat. Quoi qu’il en soit, le texte tel qu’il nous est parvenu ne semble pas pouvoir être récusé, fautes éventuelles de transcription mises à part.
Le 14 septembre 1631, donc, le prieur de Saint-Martin, des " curés, religieux et habitants de la ville et faubourgs de Pons " sont réunis en l’église Saint-Martin, après la grand messe, " environ les dix heures du matin ", pour " recourir à Dieu et porter sa divine miséricorde à avoir compassion " d’eux, en arrêtant le fléau de la peste qui les oppresse " et a déjà affligé une grande partie de la ville et faubourgs ". Ils ont unanimement fait un voeu public et solennel, tant pour eux que pour ceux qui viendront après eux, " de la teneur qui s’ensuit " :
" Nous, prieur de Saint-Martin, curés, religieux et habitants de la ville et faubourgs de Pons, faisons voeu et promesse à Dieu tout puissant, à la sacrée Vierge et au bienheureux saint Roch, d’aller en procession générale une fois chaque année, le seizième du mois d’août, jour et fête du susdit, à la chapelle qu’on a désignée et commencé de bâtir en son honneur, au lieu communément appelé la Cafourche de Lendei, le prenant pour intercesseur envers Dieu et le priant de nous obtenir de sa divine bonté qu’elle nous délivre du fléau de la peste qui nous oppresse, par les mérites de J.-C. N.-S. Ainsi soit-il.
Et le cas advenant que ladite chapelle vînt à être ruinée, nous entendons néanmoins que la procession mentionnée se fasse annuellement, ou au même lieu ou à tel autre qu’on jugera plus convenable. Et pour laisser la connaissance de notre présent voeu à la future postérité, d’un mutuel consentement avons dressé l’acte présent et l’avons signé de nos seings manuels. Fait dans ladite église de Saint-Martin, aux jour et an que dessus. " Suivent plusieurs signatures, dont la première est celle de Henri d’Albret, le sire de Pons.
Bien que la vie de saint Roch soit mal connue, on sait qu’il s’est dévoué pour des malades de la peste en Italie. Son culte a été confirmé par le pape Urbain VIII en 1629, de sorte que le voeu suivant semble procéder de la décision pontificale.
Le 2 mars 1721, tout le gratin d’alors - sauf le seigneur dont le bon plaisir n’est cependant pas oublié - et " les habitants ", sont réunis comme précédemment, dans la même église, " à l’issue de vêpres " à cette fois, pour demander à Dieu, non de délivrer les habitants de la peste mais de les préserver du fléau, " qui afflige une partie des provinces de ce royaume ". Ils renouvellent solennellement le voeu de 1631, qui a été transcrit plus haut dans l’acte, mais ils sont plus précis que leurs devanciers : " de nous assembler tous en corps en la présente église de Saint-Martin, les officiers de justice en robe, le seize août de chaque année, jour et fête de saint Roch, entre cinq et six heures du matin, et d’aller en procession générale tous les ans à la chapelle bâtie par nos pères en l’honneur de saint Roch, que nous prenons comme eux pour intercesseur... ". Parmi les signataires, en l’absence du sire de Pons on remarque le sénéchal, le juge ordinaire des ville et sirerie de Pons, un ancien juge de Pons et le procureur fiscal.
Leproux signale qu’en 1823 une croix a été érigée à l’emplacement de la chapelle détruite et que la procession a continué jusque vers 1900.
Publié dans Aguiaine, revue de la Société d’Etudes Folkloriques du Centre-Ouest, tome XXV, n° 3, mai-juin 1993, p. 215-222.