La "tradition orale"
La question de la " maison des Templiers " à Chauvigny
La maison de la rue de Châtellerault appelée " maison des Templiers ", qui a été maintes fois décrite à cause de son ancienneté, n'a pas appartenu aux Templiers. Elle a pendant un temps servi d'auberge, à l'enseigne du " Chêne Vert ". Le manuscrit connu sous le nom de " Chronique de Chauvigny " permet de déceler l'origine de la méprise.
L'auteur, Narcisse Piorry, croyait à l'existence de deux temples des réformés, qui n'auraient pas été détruits et qu'il localisait d'après une enquête orale effectuée auprès d'"anciens " de la ville : un " vieux temple ", l'actuelle " maison des Templiers ", qui était alors occupée par un boulanger nommé Julien, et un " nouveau ", qui était la propriété d'un monsieur Bergeonneau qui l'avait acheté à la famille de Chessé. Ce dernier bâtiment est l'ancienne école communale, sise au carrefour de la rue Faideau et de la rue du Moulin Saint-Just.
On a saisi l'origine de l'appellation actuelle de la maison de la rue de Châtellerault : le " vieux temple " protestant de Piorry a été dit aussi " maison du temple ", qui a été mal interprété " maison du Temple ", c'est-à-dire " maison des Templiers ". Charles Tranchant a consacré beaucoup d'efforts à la recherche d'une éventuelle implantation des Templiers dans la ville. N'ayant rien trouvé, il s'en est remis lui aussi à la tradition orale et sa prise de position a été déterminante dans l'attribution actuelle de l'édifice aux Templiers, par Pol Jouteau interposé.
S'il avait consulté le plan cadastral de 1833, Tranchant aurait constaté que la maison y porte le nom de " Chêne Vert ", qui était certainement connu au temps de Piorry mais dont le " chroniqueur " ne parle pas. Ce nom l'aurait incité à chercher dans une autre direction, le plan comportant d'autres noms de ce type qui sont des noms d'hôtelleries.
D'autre part, Piorry se trompait également en localisant le " nouveau temple " dans la maison des de Chessé. Charles Tranchant a commis la même erreur, bien qu'il ait eu à sa disposition un acte du 4 juillet 1778 qui situe le temple dans un jardin voisin. Il est probable qu'on ne lui a communiqué que le début de l'acte, début qu'il a reproduit dans sa Notice historique (p. 145 note 2); or il s'agit d'une déclaration collective, faite par trois personnes pour trois immeubles contigus, et la situation exacte du temple figure dans le corps de l'acte.
Ces trois immeubles sont à l'angle des rues Faideau et Moulin Saint-Just. Le plus important a sa façade sur la rue Faideau; dans les dépendances sont : un jardin qui s'étend jusqu'au ruisseau; une écurie et une cour, qui s'ouvrent sur la rue du Moulin Saint-Just. Cet immeuble appartient à Jacques de Chessé, écuyer, chevalier de Saint-Louis, seigneur des Maisons Blanches, qui l'a reçu de son père Charles de Chessé. Il enserre le second immeuble, qui fait l'angle des deux rues, propriété de Marie Mathias qui l'a pris à rente en 1758 de Marie Doré, veuve Georges Ledoux. C'est Jean Maignon, voiturier, mari de la propriétaire, qui en fait la déclaration pour le "terrier" de la baronnie, le 4 juillet 1778. Le troisième immeuble est un jardin qui tient d'un bout à l'écurie de Jacques de Chessé, d'autre bout au ruisseau, d'un côté, par le derrière, au jardin du même, d'autre côté, par le devant, à la rue du Moulin Saint-Just. Il est déclaré par le notaire Jérôme Sylvain Ledoux, comme héritier de sa mère Marie Doré, fille de Pierre Doré, chirurgien, qui l'a pris à rente de l'hôpital général de Poitiers le 20 décembre 1687. Il est dit "jardin dans lequel était anciennement le temple de la religion prétendue réformée", ce qui est confirmé par l'acte de 1687, les biens saisis sur les protestants ayant été remis à cet hôpital. Il est présenté comme contenant environ un demi quart de boisselée, soit environ 125 m2, de sorte qu'il correspondrait à l'emprise d'un petit temple. Contrairement à ce que pensait Tranchant, le temple a bien été démoli, suivant l'arrêt du 6 août 1665. Quant à la valeur de la tradition orale en histoire, elle se déduit des erreurs que j'ai signalées.
Non publié.