A PROPOS DES QUATRE FILS AYMON

 

En recherchant " l'Ardenne saintongeaise " à l'invitation de Charly Grenon, Jean Clouet a rencontré, chemin faisant, le cheval Bayart et les quatre fils Aymon, dans les régions de Saint-Agnant et de Saint-Just. Anne Audier a signalé auparavant qu'en 1975 on lui a affirmé que la trace du cheval " de Bayard " était visible sur une pierre, près de la fontaine pétrifiante de Saint-Symphorien, non loin de Saint-Agnant et elle a justement remarqué : "Le cheval Bayart a disparu de la mémoire populaire et la légende s'est reportée sur le cheval "de Bayard", personnage historique connu à l'école " (L'histoire et la légende dans la tradition paysanne, in Roccafortis, tome III, n° 10, p. 322). Il existe probablement d'autres traces de la légende des quatre fils Aymon dans le " Centre-Ouest " où elle a dû se répandre, comme ailleurs, notamment par les livres scolaires. Faute de pouvoir déterminer les origines médiévales, il ne serait pas sans intérêt d'étudier les modes de diffusion selon les époques.

Une précision est fournie par P. Dauthuile dans son livre intitulé " l’École primaire dans les Deux-Sèvres depuis ses origines jusqu'à nos jours " (Niort, Th. Martin, 1904). Parmi les anciens livres de lecture, Dauthuile signale : " l'Histoire des quatre fils Aymon - Ce livre de lecture fut interdit dans les écoles vers 1848 ; mais les parents, qui trouvaient ces légendes amusantes, s'obstinaient à l'acheter à leurs enfants qui continuaient de l'apporter à l'école " (p. 336). Cette interdiction est rappelée par A. Farault, dans la préface de sa " traduction " de la légende qu'il a publiée en 1885, sous le titre " Histouère dos quate fails Aymein " (Niort, L. Favre). Après avoir indiqué que sa vieille grand-mère aimait lui raconter "la Mère Lusine" ou "lés quate fails Aymein", les deux seules " histoires " qu'elle connaissait, il ajoute : " ... ces belles histoires que nos grands-grands-pères emportaient autrefois en classe, mais les instituteurs ne voulaient pas qu'ils les y lisent ; ils - les ancêtres - se faisaient tirer les oreilles sans ménagement. Ces deux petits livres, qui se trouvaient partout autrefois, chez le riche et chez le pauvre, constituaient la bibliothèque des gens de chez nous. On les plaçait pour ainsi dire toujours sur le vaisselier, derrière les assiettes, ou bien dans le tiroir quand on ne voulait pas que les enfants y touchassent. Grand-père, à chaque fois qu'il y avait des veilleurs à la maison, racontait ces histoires, des veillées entières, pendant que les femmes et les filles filaient les étoupes et le chanvre et que les hommes et les jeunes gens palissonnaient comme des enragés " (p. V et VI; traduction personnelle du texte, qui est écrit en poitevin).

Ces lignes ont été écrites en septembre 1884. Comme Farault est né en 1862, ses souvenirs d'enfance ne doivent guère remonter au-delà de 1870. Son grand-père a-t-il lu ces légendes à l'école vers 1800-1810 ? Quant à sa grand-mère, il est probable qu'elle les a apprises par audition : Farault précise bien que ce sont les " grands-grands- pères ", et non les aïeules, qui emportaient en classe " ces belles histoires ". Puisque Farault unit " la Mère Lusine " et " les quate fails Aymein " dans l'interdiction scolaire, nous signalerons que Dauthuile n'a pas mentionné la première dans sa liste des livres de lecture.

Publié dans Aguiaine, revue de la Société d’Études Folkloriques du Centre-Ouest, tome XIX, 7e livraison, janvier-février 1986, p. 415-416).