UNE COUTUME AU XIe SIECLE : LE BEVRAGE

 
      Deux pièces des archives de l'abbaye de Saint-Florent de Saumur mentionnent une coutume appelée bevrage. La première est datée de 1051 ; elle concerne Saint-Clémentin, canton d'Argenton-Château, Deux-Sèvres. La seconde est relative à la région d'Aulnay, Charente-Maritime ; elle se situe à la fin du XIe siècle.

En 1051 un prêtre nommé David vend aux moines de Saint-Florent sa part d'un moulin sur l'Argenton, à Saint-Clémentin. Il possède cette part du chef de sa femme. Aussi des moines vont-ils à Airvault, au domicile du prêtre, pour demander le consentement de celle-ci. Ils obtiennent l'acquiescement, non seulement de l'épouse mais de sa mère et des enfants du couple. Alors ils achètent du vin en quantité convenable, font le " bevrage " avec les vendeurs et s'en retournent. Ce court récit est complété par la mention : " De ceci sont témoins presque tous les habitants d'Airvault " (Archives Historiques du Poitou, tome II, p. 58, n° XLI).

La seconde pièce est rédigée par un moine en ces termes : " Moi, Siméon, moine, j'ai acheté la moitié du moulin de Ficariis [non identifié] à Bernard Aigland pour 18 sous, en présence et du consentement du vicomte Chalon [vicomte d'Aulnay] à qui j'ai donné 2 sous pour qu'il accepte. A l'occasion de cet achat j'ai fait le " bevrage ", le dimanche de Quadragésime, avec ce Bernard, sa femme, son fils cadet et sa fille. Dans notre maison nous avons consommé de la nourriture et de la boisson. En sortant de table, ils ont fait la cession de la chose vendue et ils ont déposé leur don sur l'autel de Saint-Just [d'Aulnay], en présence de... … Comme le fils aîné de Bernard était absent, il a accepté par la suite la vente de son père en déposant sur l'autel un hymnaire qu'on lui a présenté. Parce qu'il n'avait pas participé au bevrage, je lui ai donné un pain que nous appelons miche de coutume. " (Ibid., pp. 130-131, n° XCI).

Ces deux exemples émanant de pièces d'une même abbaye, il est possible que le "bevrage" ait été une coutume de la région de Saumur. Du Cange la signale, notamment en Anjou, d'après le cartulaire de Saint-Aubin d'Angers : " pour autoriser cet achat, son fils reçut dix deniers, deux souliers et le bevrage " (Glossarium, article biberagium).

Il ne s'agit pas d'un simple " coup à boire " concluant un marché sur un champ de foire. La première notice, en signalant que presque tous les habitants d'Airvault ont eu connaissance du bevrage, montre que cette coutume s'inscrit dans la série des actions destinées à fixer dans la mémoire des hommes le souvenir de contrats non écrits portant sur des biens immobiliers.

 Publié dans Aguiaine, revue de la Société d’Études Folkloriques du Centre-Ouest, tome XX, XIe livraison, septembre-octobre 1988, p. 752-753.