Notes sur l'utilisation de la cire

(XIe siècle - XVIIe siècle)


Si l'on excepte les " diaires " ou " journaux ", les documents anciens, en particulier ceux du Moyen Âge, sont trop souvent avares de renseignements précis sur la vie quotidienne. On peut cependant y glaner quelques informations, notamment sur des produits d'utilisation courante, comme le miel et la cire. En fait, le miel est plus souvent évoqué que désigné, dans des textes qui révèlent l'intérêt porté aux abeilles. La cire est plus présente, ce qui permet de saisir quelques-unes de ses utilisations.

Les torches

Les registres de l'échevinage de Saint-Jean-d'Angély font état d'achats de torches à l'occasion de réceptions de personnalités. Ainsi, en 1396, pour " aller au devant " du comte de Sancerre, hors la porte de Taillebourg, très tard le soir, la commune consomme quatre torches de cire (1). Cependant, les réceptions étant généralement diurnes, ce sont des présents de torches aux mêmes personnages qui figurent le plus souvent dans les comptes de dépenses de la commune. Ainsi, en 1390, on offre au prieur d'Aquitaine, frère du sénéchal de Saintonge, à l'occasion de sa venue dans la ville, douze gros chapons et quatre torches de cire (2) ; en 1394, au sénéchal de Saintonge, en une circonstance identique, six pipes de vin de la valeur de 21 livres et six torches de cire du poids de 25 livres (3) ; en 1395, au même, à l'occasion des noces de ses enfants, deux pipes de vin du meilleur que l'on peut trouver et six torches de cire du poids de 4 livres chacune (4); en 1424, au comte de Douglas et au connétable de France, quatre pipes de vin, douze torches de 2 livres chacune et autres présents (5).

Dans les mêmes registres, on trouve mention de condamnations comportant notamment le port de torches. En 1400, pour injure, offense et désobéissance au maire, un certain Jean de la Benaste est condamné à venir à la maison de l'échevinage, une torche de cire en main, un dimanche ou un jour de fête solennelle, à l'heure où les gens y viennent de coutume, décoiffé, en cote simple, sans ceinture, nu pieds, crier merci et demander pardon au maire, aux échevins et au jurés de la commune (6). En 1425, un condamné à la prison " pour avoir renié Dieu par plusieurs fois ", est libéré avec obligation d'aller à la messe le lendemain, de tenir en main une torche allumée d'une livre de cire durant toute la messe et de laisser ce qui restera de cire devant la statue de Notre-Dame, sous peine d'être " pilorisé " (7).

On ajoutera à ces exemples les torches de métiers de la même ville, dont nous avons parlé, qui sont en partie confectionnées avec la cire provenant de condamnations (8), et l'utilisation de torches par la commune, lors des enchères : en 1425, les fermes de la ville sont attribuées aux enchères, aux chandelles, avec une torche de cire (9).

A la Rochelle, les torches apparaissent lors de cérémonies. Pour l'enterrement d'un maire, en 1317, les douze sergents et autres officiers du maire portent seize torches de cire de 12 livres chacune. On conserve ce qui en reste pour le service religieux de la " huitaine " (10). En 1433, aussitôt que les Anglais sont chassés de Mornac, on ordonne une procession générale en l'église Notre-Dame de Cougnes et on place, aux frais de la commune, devant la statue de Notre-Dame de cette église, une torche du poids de 25 livres, en remerciement et action de grâces (11).

Les torches figurent également dans certains " devoirs " rendus par les vassaux à leurs suzerains. En 1410, Louis Mercier rend un aveu au roi en qualité de seigneur de Taillebourg, au devoir d'une torche de cire pesant 4 livres, à mutation de seigneur et de vassal (12).

Les cierges

L'Église est grande consommatrice de cierges, dont certains sont offerts par les fidèles. En 1181, un nommé Arbert Viger donne " des jardins pour illuminer la cathédrale " d'Angoulême, avec l'assentiment de son frère, qui est chantre de l'église. Le dit chantre et le sacriste, d'accord avec l'évêque et le chapitre, décident que les revenus de ces jardins seront utilisés de la façon suivante. Quatre cierges seront placés sur les " portes de fer ", en plus des huit qui y sont de coutume, et un cinquième sera mis sur un candélabre, dans le choeur. Chacun devra peser 2 livres ½. Ils illumineront l'église selon la coutume des huit anciens cierges, aux fêtes de Noël, de l'Épiphanie, de Pâques, de l'Ascension, de la Pentecôte, de Saint Pierre et Saint Paul, de l'Assomption, de la dédicace de l'église, de la Toussaint et de Saint Bénigne (13). Au XIIe siècle, Guillaume Chabot, seigneur d'Aubigny, concède à l'abbaye de Saint-Maixent, en accomplissement d'un voeu, pour une victoire en duel que Dieu lui a donnée, deux cierges de 13 livres, à payer annuellement à la fête de Saint Maixent (14).

La piété du roi Louis IX est bien connue parce que l'Église en a fait un saint. Celle de son frère Alfonse, qui a été comte de Poitiers, l'est probablement moins, bien qu'elle ne soit pas moindre. Ainsi, en décembre 1269, le comte Alfonse donne 20 livres de rente annuelle, à percevoir sur sa prévôté de Saintes, pour un cierge de 2 livres de cire, qui devra brûler continuellement, nuit et jour, devant l'autel de saint Eutrope, en l'église Saint-Eutrope de Saintes (15). En mars suivant, il donne une rente identique à l'abbaye de Saint-Jean-d'Angély, à prendre sur sa prévôté de Saint-Jean-d'Angély, pour entretenir un cierge du même poids, dans les mêmes conditions, devant l'autel de saint Jean (16). En 1682, dans un état des charges du domaine royal de Saintes, les 20 livres de rente dues à Saint-Eutrope sont mentionnées en ces termes : " Aux religieux, prieur et couvant de Saint-Eutrope, la somme de 20 livres à eux léguée par Alphonse, fils de France, comte de Poitou, pour l'entretien d'un cierge ardant nuit et jour devant le corps de saint Eutrope " (17). Il n'est pas fait mention de poids ; il est évident, cependant, que si le cierge est toujours de 2 livres, il faut trouver ailleurs le complément de recette pour l'acheter.

D'autre part, l'Église a encouragé les oblations de cire, pour entretenir un abondant luminaire, et elle a minutieusement réglé l'usage de ce luminaire, non parfois sans contestation entre les usagers. Ainsi, en 1617, à la suite d'un différend entre le trésorier et le chapitre de Saint-Hilaire de Poitiers, au sujet de divers droits et prérogatives, il est décidé que " les doyen, chanoines et chapitre " seront tenus d'installer :

- à la fête de Saint Hilaire d'été, un cierge de 4 livres, orné de deux écussons aux armes du trésorier en charge, fourni par ce dernier à ses dépens, qui brûlera pendant toute la grand messe ; la messe finie, le chapitre pourra disposer du cierge comme bon lui semblera ;

- à toutes les heures canoniales, deux cierges d'une livre de cire, à leurs dépens, devant la place du trésorier, en présence de ce dernier, aux fêtes de Noël, Pâques, Pentecôte, Toussaint, Notre-Dame de mars, mi-août et Saint Hilaire d'hiver ; le chapitre pourra les reprendre après le service (18).

Si les torches figurent dans les condamnations prononcées par la cour du maire de Saint-Jean-d'Angély, il en est de même des cierges. En 1412, une certaine Marion Pastourelle, qui a laissé ses porcs errer par la ville, malgré la défense du maire, est condamnée à " mettre une livre de cire en la roue qui est à l'église de Saint-Jean " (19). En 1413, c'est au tour d'Héliot Jolen d'avoir à placer " devant saint François " un cierge du même poids de cire, dans les huit jours, avec injonction de rapporter " certification suffisante " (20).

Les chandelles

Nous citerons encore les registres de l'échevinage de Saint-Jean-d'Angély. En 1414, dans un état de dépenses, figurent 4 sous pour l'achat de quatre livres de chandelle, utilisées pour surveiller un prisonnier qui a été " mis en la fosse " (21). Certaines chandelles sont mentionnées dans les mêmes circonstances que les cierges. Ainsi, en 1415, deux personnes sont condamnées à aller de la maison de l'échevinage à la chapelle de Notre-Dame, " tout nus, en petites chemises ", et portant chacun une chandelle d'un quarteron de cire, afin d'y prier pour la santé du roi (22). En 1424, le maire réunit " ses bourgeois " qui sont d'avis " que l'on tienne une chandelle en cire jaune devant le corps Jésus-Christ ou devant Notre Dame, ainsi qu'il sera ordonné, et qu'elle soit persévérée et continuée et que chacun y contribue selon sa dévotion " (23).

Objets votifs

Parmi les voeux prononcés par des personnes en grand péril, figurent des " voyages " à des lieux sanctifiés, accomplis parfois nu-pieds. Le " livre des miracles de Sainte-Catherine de Fierbois " contient ainsi 237 attestations de pèlerinages effectués à la chapelle de Sainte-Catherine (canton de Sainte-Maure), entre 1375 et 1470, en reconnaissance pour des intercessions de la sainte (24).

Certaines personnes apportent des objets qu'elles déposent dans la chapelle. Ce sont souvent des " voults " (25), c'est-à-dire des représentations en cire de personnes miraculées. Ainsi, un gentilhomme qui est tombé dans la Dive tout armé, avec son cheval, entre le Coudray-Macouard et la Motte-Bourbon, et a failli en périr, vient offrir " un cheval de cire et un homme dessus ", le tout pesant quatre livres (26). Frère Hugues de la Lesse, prieur de Versillac, offre un " veu de quatre livres de cire ", parce que sa belle-soeur, " jugée à mort " par les " phisiciens ", a été sauvée par l'intercession de sainte Catherine (27). Un homme de la paroisse de Saint-Paul, près Limoges, a fait voeu d'offrir " une pourtraiture d'une livre de cire " et d'apporter le suaire dans lequel il devait ensevelir sa fille âgée de onze ans (28). Une demoiselle qui avait perdu la vue a promis d'offrir " son image avec son chef [tête] ", pesant six livres de cire, et un cierge d'une livre (29). Un ménestrel du roi a été victime d'un accident au tir à l'arc : une flèche lui a transpercé la tête sur une profondeur de deux doigts. Il a apporté la flèche, fichée dans une tête de cire pesant une demi-livre (30). Accident analogue et " veu " analogue pour un habitant de Chinon qui a été gravement blessé à la tête par un cheval : il offre une tête d'une livre de cire (31). Un homme a cru perdre son épouse lors d'un accouchement difficile ; son offrande consiste en deux " veux " de cire " en figure et forme de mère et fille ", l'un d'une demi-livre de cire et l'autre d'un quarteron (32). Un homme de la paroisse de Saint-Maurice de Chinon promet " un veu de cire en semblance de femme ", si son épouse, qui a reçu l'extrême onction, est sauvée par ses prières (33).

L'expression " son gros et son long ", qui est employée à plusieurs reprises, semble désigner une représentation en pied. C'est ainsi qu'un homme de Marsilly, en Aunis, jure qu'il ne pouvait plus boire ni manger quand il a été sauvé, et il est venu " offrir son gros et son long " (34). Un paroissien de Saint-André de Niort, voyant sa femme enceinte en grand danger de mort, promet de porter " le gros et le long de cire de sa dite femme " (35). Même promesse pour un homme de la paroisse de Saint-Christophe, près de Saint-Maixent, qui a été enseveli au fond d'un puits qui s'est éboulé sur lui et s'en est tiré avec quelques plaies ; il doit porter " son gros et son long de cire " (36).

Cependant ce n'est pas toujours un " veu " qui est offert en reconnaissance à la sainte. Ainsi, un homme de la paroisse de Saint-Jacques de Tusson, au diocèse de Poitiers, a promis d'apporter " un quart de livre de cire ", en même temps que le suaire qu'il avait préparé pour ensevelir sa fille qui " était morte ", si celle-ci recouvrait la vie (37). Un habitant du Mans a fait voeu d'apporter le pesant de cire de sa fille âgée d'environ un an et demi (38). Un homme qui a failli périr dans une tempête, " au-dessus du Pont-de-Cé ", vient tout nu remercier la sainte et lui offrir " un chaland de trois livres et un quarteron de cire " (39).

Les sceaux

On les rencontre en bonne place dans les registres de Saint-Jean-d'Angély, ce qui permet de constater que la cour du maire use de cire verte. En 1399, un nommé Guillaume Billon achète, pour les affaires de la commune, en la ville de la Rochelle, dix mains de papier, une livre de cire verte, six peaux de grand parchemin et six peaux de chevrotin " pour faire les écritures " (40). Ailleurs, c'est une dépense de dix sous qui est notée, pour achat de cire verte " pour les affaires de la ville " (41), une autre de deux sous six deniers " pour cire verte à sceller la commission du fouage et autres lettres de la ville " (42). Ailleurs encore on remarque une demi-livre de même cire, " pour sceller la procuration de la ville es parlement et les lettres closes envoyées au roi " (43).

Redevances et amendes en cire

La cire peut figurer dans les redevances des tenanciers à leur seigneur foncier. En 1272, l'abbé de la Merci-Dieu baille à un tuilier une maison à Vicq, une vigne et une pièce de terre, " au service de 12 sous de monnaie courante de cens et d'une livre de cire de rente annuelle " (44). En 1276, un ménage doit à la même abbaye une livre de cire chaque année, à la Chandeleur, assise sur un courtil (45). En 1340, le procureur de l'abbaye de l'Absie et un tenancier concluent un accord au sujet d'une rente de trois mines de froment et deux livres de cire, due par ce dernier sur des terres à la Chapelle-Bertrand (46).

C'est une amende d'une livre de cire, évaluée à cinq sous, qu'encourent les personnes qui sont tenues d'assister à la messe du lundi de Pâques, à Pons, qui précède rituellement une cérémonie burlesque de recouvrement de redevances : " Aujourd'huy, septiesme apvril mil six cens soixante dix, le landemain de la feste de Pasque, après que la messe a esté sellébrée à l'aube du jour, a la chapelle de St Gilles du chasteau de la présente ville de Pons, à la dilligence et frais de Jean Etenvau, sindic des maistres bouchers dudit Pons, à la manière accoutumée, à laquelle doivent acister avec monseigneur de la cour de ceans tous ses officiers et domestiques, à l'offrande, et donner chescun un denier, à peine contre les contrevenants et deffaillants d'une livre de sire ou cinq sols pour icelle d'amende... " (47).

Notes

(1) Archives Historiques de la Saintonge et de l'Aunis, tome XXVI, p. 16.

(2) Ibid., tome XXIV, p. 332.

(3) Ibid., p. 412.

(4) Ibid., p. 430.

(5) Ibid., tome XXXII, p. 345.

(6) Ibid., tome XXVI, p. 113.

(7) Ibid., tome XXXII, p. 397-398.

(8) Aguiaine, bulletin de la SEFCO, tome XX, n° 12, p. 777-785.

(9) Archives Historiques de la Saintonge et de l'Aunis, tome XXXII, p. 371.

(10) Ibid., tome XIV, p. 127.

(11) Ibid., p. 301-302.

(12) Ibid., tome XXIX, p. 95.

(13) Abbé Nanglard, Cartulaire de l'Église d'Angoulême, n° 210, p. 194-195.

(14) Archives Historiques du Poitou, tome XVIII, p. 475.

(15) Archives Historiques de la Saintonge et de l'Aunis, tome II, p. 271-272.

(16) Ibid., tome XXXIII, p. 197-198.

(17) Ibid., tome II, p. 420.

(18) Mémoires de la Soc. des Antiquaires de l'Ouest, 1852, p. 306.

(19) Archives Historiques de la Saintonge et de l'Aunis, tome XXVI, p. 354.

(20) Ibid., tome XXXII, p. 99.

(21) Ibid., p. 122.

(22) Ibid., p. 135.

(23) Ibid., p. 355.

(24) Publié par Yves Chauvin dans le tome LX des Archives Historiques du Poitou.

(25) La forme du mot est " veu " dans le document.

(26) N° 26, p. 78-79.

(27) N° 93, p. 47.

(28) N° 138, p. 86.

(29) N° 152, p. 95.

(30) N° 180, p. 110.

(31) N° 186, p. 113-114.

(32) N° 191, p. 116-117.

(33) N° 216, p. 132.

(34) N° 64, p. 29.

(35) N° 140, p. 87-88.

(36) N° 171, p. 105.

(37) N° 45, p. 19.

(38) N° 135, p. 83-84.

(39) N° 154, p. 96.

(40) Archives Historiques de la Saintonge et de l'Aunis, tome XXVI, p. 96-97.

(41) Ibid., tome XXXII, p. 123.

(42) Ibid., p. 383.

(43) Ibid., p. 414.

(44) Archives Historiques du Poitou, tome XXXIV, p. 212.

(45) Ibid., p. 336.

(46) Ibid., tome XXV, p. 215.

(47) Procès verbal de la cérémonie de 1670 (BM la Rochelle, ms Recueil n° 534, fol. 31-33).

Publié dans Roccafortis, bulletin de la Société de Géographie de Rochefort, 3e série, tome III, n° 21, janvier 1998, p. 265-269.