L’hôpital et la foire de Saint-James, près Taillebourg
Saint-James est aujourd'hui un paisible village de la commune de Port-d'Envaux, à l'extrémité méridionale de la " chaussée de Saint-James ", sur le chemin de Taillebourg à Saintes par la rive gauche de la Charente. Il doit son nom à une maison hospitalière placée sous le patronage de saint Jacques le Majeur, établissement religieux qui, comme tant d'autres, n'a pas survécu à la Révolution. Nous ne connaissons pas de monographie de cet hôpital qui ne semble pas avoir attiré l'attention des historiens locaux. Nous n'avons pas cherché à reconstituer son passé, mais à en préciser le caractère en vue d'examiner les conditions dans lesquelles une foire annuelle s'est tenue à ses portes, le 25 juillet, jour de la fête de son saint patron.
Aperçu sur la maison hospitalière
Des origines de la maison, nous ne savons rien, sinon qu'en 1170 une bulle du pape Alexandre III a confirmé les dons qui lui ont été faits (1). La fondation ne devait pas être ancienne à cette date. Un hôpital était alors une maison de charité où l'on recevait des personnes dans le besoin et des voyageurs démunis. Celui-ci, qui était situé à une extrémité d'un des rares ponts qui permettaient de franchir la Charente, a dû être créé en particulier pour les pèlerins. C'était le temps de la vogue du pèlerinage de Compostelle, ce que rappelle le patronage de saint Jacques.
Ce n'est qu'à la fin du règne de Louis IX qu'on peut identifier les religieux qui tiennent l'établissement. En 1266, l'hôpital est appelé " maison de la Trinité " (2). Le 15 août 1269, le comte de Poitiers Alfonse fait une aumône de cent sous aux " frères de la Trinité du pont de Taillebourg " (3). Le 12 octobre de la même année, dans une lettre à son sénéchal de Saintonge, le même comte nomme " frère Pierre, ministre de la maison de la Sainte-Trinité du pont de Taillebourg " (4). Les religieux sont donc des Trinitaires, qui étaient aussi appelés Mathurins. L’ordre de " la Sainte-Trinité et rédemption des captifs " a été fondé pour le rachat des prisonniers chrétiens aux infidèles. Ce n'est pas par hasard qu'on le rencontre à Marseille, quand il est autorisé par le pape Innocent III, en 1198 (5). Ses membres, qui suivent de près la règle dite de saint Augustin (6), sont appelés des " frères ". Les établissements affiliés, dits " maisons ", sont dirigés par des " ministres " et le supérieur de l'ordre est le " ministre général ". Cependant, dans la plupart des textes d'origine locale, le chef de la maison de Saint-James est appelé " prieur " et la maison est dénommée " prieuré", par analogie avec les nombreux petits prieurés ruraux des environs. D'ailleurs celui-ci semble être le seul de cet ordre dans le diocèse de Saintes (7).
Deux textes nous fournissent des renseignements assez précis sur la "maison ", à un siècle et demi de distance, en 1531 et 1692. Pour l'année 1531, c'est le procès-verbal d'une visite effectuée par le " ministre général ", le révérend Nicolas Musnier. Le ministre local est alors Thibaud Musnier, frère de Nicolas. Il est assisté de " frère Gilles Tiercelin, prêtre profès de la Gloire de Dieu ", qui assume la fonction de procureur, c'est-à-dire d'intendant et de défenseur des intérêts de la maison. Le révérend arrive le 25 juillet au soir, jour de la fête de saint Jacques, et il prolonge son séjour jusqu'au 1er août. Quatre jours lui suffisent pour effectuer sa "visite ", mais il demeure pendant quatre autres jours pour son repos, celui de sa suite et de ses chevaux.
Dans la chapelle, il s'intéresse surtout à une statue de saint Jacques qui se dresse sur le grand autel et à deux reliquaires contenant en particulier des reliques de saint Martin et de saint Roch. Les livres sont peu nombreux parce que seules les vêpres sont chantées, les jours de fête. Pas de titre de propriété; seulement un acte de donation de cent sous à percevoir chaque année, à l'Ascension, sur la recette de Saint-Jean-d'Angély. L’hôpital compte trois lits suffisamment garnis. Le révérend fait remarquer qu'il devrait y en avoir quatre, " pour recevoir les hôtes ". Le ministre promet d'en ajouter un, mais non sans signaler qu'il n'est pas prudent d'héberger beaucoup de monde parce que nombreux sont les vauriens qui se font passer pour pèlerins et parfois dérobent la literie. Il est dangereux de leur résister quand ils sont en groupe.
La " maison " est en état convenable et bien pourvue. Elle possède la moyenne et la basse justices sur le village de Saint-James et un four banal qui est entretenu par un bois. Des quelques petits prés, l'un est réservé à l'usage domestique et les autres produisent du foin pour une valeur de 20 livres tournois en année commune. Les cens du village et de deux autres petits fiefs voisins, les rentes sur les maisons, représentent 45 livres tournois et environ 40 chapons et poules annuellement. Les terres arables sont de peu d'étendue, peu fertiles et sujettes aux inondations. Les terrages des deux petits fiefs et du fief du village valent ensemble 100 sous en année commune. A l'intérieur des clôtures de la maison, une vigne d'un arpent et demi est peu productive ; le vin est très acide et de médiocre valeur (8).
Le second texte est une déclaration de biens. Le 22 juillet 1692, " frère François Lafarre, prêtre, religieux et ministre de la ministrerie de Saint-James ", comparaît devant le notaire Gasquet, à Saintes. Un édit royal le contraint en effet à déclarer le temporel de sa "ministrerie " et à en indiquer la valeur. Il est accompagné de " frère Guillaume Brunet, son religieux, aussi prêtre et profès de la dite ministrerie, ordre de la Très Sainte-Trinité et rédemption des captifs ". On retrouve dans cette déclaration des éléments de la " visite " de 1531, mais avec plus de précision, les confrontations et les superficies étant mentionnées. On constate que la " maison " se compose de deux chambres, l'une haute et l'autre basse, une cuisine, un grenier, un caveau, une écurie et un jardin, " le tout joignant l'église ". Elle est située dans un enclos de 56 journaux comprenant terres labourables, prés, bois de futaie et taillis, délimité par des murailles et des fossés, situé à l'est de la " rue de Saint-James " et touchant au nord au " pont de Taillebourg ", c'est-à-dire à l'actuelle " chaussée de Saint-James ". Le frère Guillaume Brunet a fait rebâtir la maison et l'église " depuis l'année 1668". Le fief du village se trouve de l'autre côté du chemin de Taillebourg à Saintes. Il est contigu au nord au "communau de Saint-James " et à " l'entrée du pont de Taillebourg ". Les revenus de la "ministrerie" sont affermés pour six ans à un marchand de Port-d'Envaux, à raison de 650 livres par an. Les religieux doivent annuellement 110 livres 16 sous de décimes ordinaires et extraordinaires et 60 livres au procureur général de l'ordre. Ils déclarent de plus avoir droit de haute, moyenne et basse justices en toute l'étendue de la seigneurie de Saint-James, alors qu'en 1531 il n'était question que de moyenne et de basse (9).
A la Révolution, les revenus de la ministrerie sont toujours affermés. Le fermier, Pierre Videau, est dit " bourgeois " le 1er février 1790, quand il est élu officier municipal (10). Le "prieuré de Saint-James", déclaré bien national, est estimé à 1 000 livres de revenu annuel par la municipalité de Saint-Sornin-de-Séchaud, le 13 août 1790, " conformément au bail fait à Videau devant Gaillard " (11). A la réunion du 26 février 1792 la même municipalité annonce qu'il a été vendu à un certain Gobeau, pour 43 000 livres (12). Enfin, le 30 mai 1792, sur l'ordre du district, on fait l'inventaire des objets restant encore dans la chapelle et on les transporte dans l'église paroissiale: une cloche de 45 livres, une vieille chaire pourrie, un vieux tabernacle et ses supports en très mauvais état, un devant d'autel en basane pourrie, un marchepied, une croix en bois de noyer (13). En somme, ce qui n'a intéressé ni les pillards ni l'acquéreur.
La foire de Saint-James
Une foire annuelle qui se tenait aux portes du prieuré, le jour de Saint-Jacques, est mentionnée dès 1266. A cette date, les enquêteurs du comte Alfonse rendent à un chevalier nommé Guillaume d'Asnières, " la haute et basse justices de la foire qui se tient annuellement près de Taillebourg devant la maison de la Trinité " (14). Cette mention montre que la foire est alors une institution déjà bien établie. La justice en est distincte de celle de la paroisse de Saint-Saturnin-de-Séchaud, puisque les enquêteurs d'Alfonse ont restitué séparément à Guillaume d'Asnières la haute et la basse justices de la paroisse. C'est que la justice est une source de revenus recherchée par les seigneurs et que les foires sont des manifestations à l'occasion desquelles elle a de fréquentes occasions de s'exercer. Marchands, chalands, bateleurs, hommes d'armes, et aussi vauriens du genre de ceux dont parle le procès-verbal de 1531, s’y côtoient. Roberies, pilleries et rixes ne sont pas rares. Un bon exemple est fourni par une lettre du comte Alfonse à son sénéchal de Saintonge, en date du 12 octobre 1269. Le comte enjoint à son agent local de faire la lumière sur un acte de brutalité commis à la foire de la Saint-Jacques, cette année-là, de punir le ou les coupables et de faire indemniser la victime. Une controverse s'est élevée entre le ministre de Saint-James et un marchand, dans le cimetière de la " maison ", et un chevalier, nommé Geoffroy Febet, fidèle du comte, s'est écrié: " A mort! Tue le prêtre! ". Celui-ci a été durement frappé et blessé à la tête (15). Nous ignorons la sentence du sénéchal. Si la culpabilité du chevalier a été prouvée, celui-ci a certainement été condamné au paiement d'une forte amende au profit d'Alfonse. En effet, les comptes de recettes de ce dernier font état de nombreuses amendes perçues à son profit sur des soldats pour infractions diverses.
On retrouve ensuite la foire en 1445, peu avant la fin de la guerre de Cent Ans : des "lettres" du seigneur de Taillebourg la rétablissent parce qu'elle ne s'était pas tenue depuis longtemps. " A cause des guerres ", elle avait été transférée à Taillebourg (16). C'est donc le seigneur de Taillebourg qui a alors la haute main sur la foire. Cependant, son autorité dans toute la paroisse de Saint-Saturnin est contestée par les officiers du roi au siège de Saintes : en 1444, le procureur royal à Saintes, la commune de Saintes et même le prieur de Saint-Sornin ont fait opposition à la tenue d'assises aux bourgs de Saint-Sornin et de Port-d'Envaux par les officiers de Taillebourg (17). Une lettre adressée au prieur de Saint-James le 25 juillet 1449, au nom du seigneur de Taillebourg, nous apprend qu'un procès oppose ce dernier aux officiers royaux de Saintes au sujet de la juridiction de la foire ; le prieur est avisé que ce jour-là la foire se tiendra " sans préjudice des droits des parties " (18). Puisque la justice est réservée, on aimerait savoir qui assure la police, mais le fait nous échappe. Entre 1466 et 1476, on voit à diverses reprises les officiers de la prévôté de Saintes tenir leurs assises " au bout du pont de Taillebourg ", le 25 juillet, c'est-à-dire à la foire même, malgré l'opposition du procureur de Taillebourg, qui se voit menacé de prison s'il insiste (19).
L’emplacement et la superficie du champ de foire sont mentionnés dans un acte du 3 juillet 1555. Il s'agit d'un contrat de concession par Louis de La Trémoille, en qualité de seigneur de Taillebourg, à deux particuliers, de la " prairie appelée la Plaine de Saint-James, près et joignant le pont de Taillebourg ". Cette " prairie " est baillée moyennant 10 sous par quartier, pour un total de 20 livres de rente, ce qui représente une superficie de 40 quartiers. L’acte stipule que les preneurs doivent laisser 13 journaux pour le champ de la foire de la Saint-Jacques et que le seigneur de Taillebourg pourra prélever dans ces 13 journaux de la terre ou du sable pour les réparations du pont et du château de Taillebourg (20). Le nom du lieu-dit, la Plaine, s’est maintenu jusqu'à nos jours, au nord du village de Saint-James et à l'ouest de la " chaussée de Saint-James ". Désormais, c'est la propriété même de cette "prairie " qui apparaît comme l'objet d'un litige entre le seigneur de Taillebourg et les agents du roi à Saintes : la baillette mentionne en effet un procès pendant au présidial de Saintes, entre le seigneur de Taillebourg et le procureur du roi audit siège, lequel prétend faire réunir la prairie au domaine royal. On a la confirmation de ce litige dans une adjudication du 17 septembre de la même année, faite au présidial de Saintes, de la même prairie et aux mêmes adjudicataires, sur poursuite du procureur du roi, moyennant une rente légèrement supérieure - 12 sous par quartier - " payable à la recette du domaine de Saintes ou au seigneur de Taillebourg, après la décision du procès pendant au siège présidial de Saintes entre le procureur du roi et le seigneur de Taillebourg opposant à l'adjudication pour raison de la propriété du fonds de cette prairie " (21).
Au XVIIe siècle, divers actes qui s’échelonnent entre 1620 et 1669 présentent la " Plaine de Saint-James " comme un communal à la disposition des habitants de la paroisse pour faire paître leurs animaux, contre redevance. Ces habitants sont d'ailleurs victimes de conflits de juridiction entre différents agents du roi ou engagistes du domaine, conflits dont ils subissent les conséquences, notamment par des " exécutions de bestiaux " (22). Il semble que le seigneur de Taillebourg ait la haute main sur la foire entre 1662 et 1678, car les archives du comté de Taillebourg ont conservé des procès-verbaux d'ouverture de la foire en date des 25 juillet 1662, 1663, 1674 et 1678, rédigés par les officiers du seigneur de Taillebourg (23). Cependant, en 1692, c'est un représentant du roi qui doit ouvrir officiellement la foire, comme nous le verrons plus loin (24).
Venons-en maintenant aux relations entre seigneurs et prieurs au sujet de la manifestation. Il est évident que la foire a été instituée en ce lieu, hors de toute agglomération, à cause de la proximité de la maison hospitalière : la date choisie en fait foi. Il est non moins évident que c'est une fondation du seigneur haut justicier et propriétaire de la " Plaine de Saint-James ". Cependant nous ne pouvons rien affirmer d'autre, faute de documentation assez ancienne. Il nous est notamment impossible de dire si la foire est issue d'une manifestation de piété à saint Jacques, par exemple un pèlerinage local.
En 1269, on entrevoit une participation effective du prieur à la manifestation, à travers sa discussion avec un marchand, mais c'est seulement à partir du XVIIIe siècle que son rôle se précise quelque peu. Les procès-verbaux de 1662, 1663, 1674 et 1678 mentionnent "l'hommage fait par le prieur de l'hôpital Saint-James d'une pelote " et "la course de cette pelote avant l'ouverture de la foire à Saint-James qui se fait par les officiers de Taillebourg ".
Un constat de notaire de la fin du siècle est plus explicite. Le 25 juillet 1692, le prieur François Lafarre fait constater par le notaire Gallocheau que, "en sa qualité de prieur de Saint-Jasmes, le lieutenant des marchans de cette province est tenu, le jour de foire et feste de Saint-Jacques et Saint-Cristophle, de lui fournir et bailler, ou à ses officiers, sur les neuf heures du matin, au devant le grand portail dudit prieuré, une pelotte marquée de trois fleurs de lis et croix de saint Anthoine, rouge et bleue, représentant l'ordre de la Sainte-Trinité et rédemption des captifs, pour que ledit exposant la donne au roy ou à son représentant pour la jetter dans la plaine ou champ de foire Saint-Jasmes aux marchans qui courront ladite pelotte". Il s'est présenté, accompagné de plusieurs personnes, " sur les neuf à dix heures du matin ", devant le portail du prieuré, où Jean Saullet, lieutenant des marchands, lui a remis la dite pelote. "Le prieur a crié à haute voix s'il y avoit quelque personne représentant sa Majesté pour la recevoir… L’heure de dix heures étant passée, comme il paraît par le soleil et la montre du prieur ", celui-ci requiert acte de ce qu'il est prêt à remettre la pelote aux mains du roi ou de son représentant et de ce qu'il ne se présente personne pour la recevoir et il proteste de ses dépens, dommages et intérêts (25).
Enfin, une décision du Conseil municipal de Saint-Saturnin-de-Séchaud, en date du 5 floréal an VI (24 avril 1798), nous fait connaître un "devoir " du prieur au seigneur de la foire. Un arrêté du Directoire du 14 germinal an VI (3 avril 1798) a ordonné de régler les foires sur le calendrier républicain. C'est pourquoi le Conseil décide de demander au département, entre autres mesures, la suppression de la foire de Saint-James, " parce qu'elle avait été instituée par les ci-devant seigneurs, à l'occasion d'un droit qu'ils exigeaient du ci-devant prieur, lequel droit consistait à leur fournir, le jour de cette foire, une demi-barrique de vin, un quart [ou un quartier] de veau, le pain que produisait la fleur d'un boisseau de farine et une pelotte sur laquelle étaient gravées les armes du ci-devant seigneur de Taillebourg et celles des Trinitaires " (26).
Le prieur est ainsi présenté presque comme une victime des seigneurs. Ce n'est pas le point de vue exprimé par le révérend Musnier en 1531, dans son procès-verbal de visite. Ce procès-verbal mentionne en effet la foire comme " appartenant au ministre pour raison de fief et seigneurie ". De même François Lafarre signale en 1692 un " droit de foire " pour sa maison. C'est que le prieur de Saint-James avait dans la foire des intérêts matériels qu'il tenait en fief du seigneur sur le terrain duquel se déroulait la manifestation, au devoir d'une pelote d'hommage le matin du 25 juillet et de boisson et victuailles destinées vraisemblablement à un banquet. Notre documentation ne nous permet pas de savoir à quels revenus de la foire il était intéressé : droits de " vente " imposés aux marchands, vérification des poids et mesures, amendes infligées pour délits ou même spoliations dont étaient victimes certains délinquants.
Nous ignorons aussi le rôle que le prieur pouvait jouer dans la préparation et l’organisation de la foire, notamment dans la police, mais son rôle dans le cérémonial d'ouverture apparent clairement. Il doit se présenter vers neuf heures devant le portail du prieuré pour recevoir du " lieutenant des marchands de la province " une pelote qu'il remet en hommage à un officier seigneurial. La cérémonie se poursuit par une " course " de la pelote sur le champ de foire. Ce sont les marchands qui " courent " la pelote lancée par l'officier seigneurial. Hommage et course sont consignés dans un procès-verbal rédigé par l'officier. Si celui-ci ne se présente pas à l'heure convenue, le prieur prend soin de faire constater la carence par un notaire, en se réservant les poursuites de droit.
La forme de l'hommage met en évidence la hiérarchie des puissances dans l’organisation de la foire ; de bas en haut on rencontre le lieutenant des marchands de la province, le prieur et le roi. La pelote passe des mains du premier dans celles du second et dans celles d'un officier royal, du moins quand ce dernier est présent. La pelote est marquée aux symboles des deux autorités supérieures : armes des seigneurs de Taillebourg ou fleurs de lis royales, suivant les vicissitudes de la seigneurie, d'une part, croix de saint Antoine, insigne de l'ordre de la Trinité, d'autre part. Le " lieutenant des marchands de la province " est alors l'héritier du " lieutenant du roi des merciers " qui participait en 1480 à l’inauguration d'une foire à Taillebourg nouvellement accordée par le roi (27). Il représente une puissante corporation qui intervient officiellement dans l'organisation des foires mais, en l'occurrence, nous ne pouvons constater que sa participation à la cérémonie de l'hommage. Toutefois ce sont les membres de la corporation qui " courent " la pelote et la " course " est une des figures du cérémonial d'ouverture de la foire. Cette " course " n'a par ailleurs rien d'original. C’est une distraction courante, qui a été introduite par les organisateurs en manière de spectacle pour corser la manifestation. Nos documents ne sont pas plus explicites que d'autres sur ses modalités. Nous remarquons seulement qu'à la différence de ce qui se passait à la Rochelle à l'occasion du " banquet de la pelote du roi ", c'est une pelote marquée aux armes qui était roulée dans la prairie. A la Rochelle, du moins en 1541, chacun des nobles et gens de pratique mariés dans l'année devait offrir trois pelotes : une marquée aux armes du roi et deux " blanches ". Les premières étaient distribuées aux officiers royaux, et seules les secondes étaient " courues " (28).
L’hommage de la pelote n’a pas toujours été admis sans réticence par le prieur. En 1679 une lettre du receveur de Taillebourg mentionne entre autres choses les " contestations qui étoient avec le prieur de Saint-James pour raison de " la redevance de la pelote " (29). Le 8 mai 1680 une transaction est intervenue à ce sujet, par laquelle " l'hommage et devoir " de la pelote était commué en quatre boisseaux d'avoine, mesure de Taillebourg, " de devoir et redevance noble, directe et seigneuriale ", payables chaque année le jour de la foire, le seigneur de Taillebourg " se réservant le droit de mouvance et de suzeraineté et autres droits qui lui appartiennent sur les fiefs dépendans de ce prieuré, droits de haute, moienne et basse justice aux officiers de Taillebourg sur les marchands, pendant tout le jour de la foire, tels qu'ils étoient auparavant la transaction ". La redevance a d'ailleurs été réduite à trois boisseaux d'avoine lors de la ratification de la transaction par le seigneur de Taillebourg et le général des Trinitaires, le 26 juin 1682 (30). Cependant la nouvelle disposition était caduque en 1692, l'hommage devant être fait cette année-là au représentant du roi.
Nous signalerons enfin que, dans un dénombrement de 1736, le seigneur de Taillebourg a mentionné, parmi les fiefs tenus de lui, " les maisons et fiefs de Saint-James ", au devoir annuel d'une pelote marquée aux armes de la maison de Taillebourg " (31). Comme le prieur François Lafarre a déclaré en 1692 tenir son domaine et ses fiefs en franche aumône, il est probable que le seigneur de Taillebourg a confondu hommage des fiefs de terres et hommage du fief de la foire.
Quoi qu'il en soit, la longue histoire de la foire de Saint-James met en lumière les difficultés que pouvaient rencontrer les modestes ministres d'une maison hospitalière pourvue d'avantages dans une institution profane disputée entre des seigneurs et les réticences dont certains pouvaient faire preuve dans !'accomplissement d'un acte de type féodal qui était en relation directe avec un jeu au cours duquel l'insigne de leur ordre était roulé dans la poussière.
Notes
(1) Archives hist. de Saintonge et d’Aunis, tome XXIX, 1900, p. 335.
(2) Fournier-Guébin, Enquêtes administratives d’Alfonse de Poitiers, p. 197a.
(3) Molinier, Correspondance administrative d’Alfonse de Poitiers, tome I, p. 731-732, n° 1110.
(4) Ibid., p. 743, n° 1128.
(5) A. Giry, Manuel de diplomatique, p. 344 et Fliche et Martin, Histoire de l’Église, tome XII, p. 502, note 11.
(6) Fliche et Martin, op. cit., p. 502, note 12.
(7) Il n'y en a pas d'autre de mentionné dans le pouillé de l683 (Arch. hist de Saintonge et d’Aunis, tome XLV, 1914, p. 252).
(8) Revue de Saintonge et d’Aunis, tome XXI, 1901, p. 399-401, " Le prieuré de Saint-James en 1531 ".
(9) Arch. hist. de Saintonge et d’Aunis, tome XXXV, 1905, p. 232-235.
(10) Revue de Saintonge et d’Aunis, tome XXVI, 1906, p. 323.
(11) Ibid., p. 335.
(12) Ibid., p. 394.
(13) Même référence que note 12.
(14) Même référence que note 2.
(15) Même référence que note 4.
(16) Arch. hist. de Saintonge et d’Aunis, tome XXIX, 1900, p. 335-336.
(17) Ibid., p. 344.
(18) Même référence que note 17.
(19) Arch. hist. de Saintonge et d’Aunis, tome XXIX, 1900, p. 344-345.
(20) Ibid., p. 345.
(21) Ibid., p. 346.
(22) Ibid., p. 346-347 et tome VII, 1880, p. 420-423.
(23) Ibid., tome XXIX, 1900, p. 335.
(24) Voir note 25.
(25) Arch. hist. de Saintonge et d’Aunis, tome VII, 1880, p. 425-426.
(26) Revue de Saintonge et d’Aunis, tome XXVIII, 1908, p. 53.
(27) Ibid., tome XXV, 1905, p. 96-97.
(28) Bull. de la Soc. d'études folkloriques du Centre-Ouest, tome II, p. 152.
(29) Arch. hist. de Saintonge et d'Aunis, tome XXIX, 1900, p. 336.
(30) Même référence que note 29.
(31) E. Lemarié, Dénombrement de l'ancien comté de Taillebourg, 1879, p. 13.
Publié dans la Revue de la Saintonge et de l’Aunis, tome XII, 1986, p. 59-65.