Coutumes de métiers à Saint-Jean-d'Angély

au début du XVe siècle

 

 Pendant une trentaine d'années, entre 1396 et 1425, les registres actuellement publiés de l’Échevinage de Saint-Jean-d'Angély se font l'écho de quelques coutumes de métiers (1). Les " métiers " n'ont pas encore de statuts et il n'est pas question de maîtres " jurés ". R. Favreau a signalé qu'à Poitiers il n'y avait probablement encore que deux métiers jurés en 1445 ; c'est seulement à partir de 1450 que le nombre s'en est accru, et brusquement, puisque sept statuts ont été promulgués entre 1450 et 1458, deux entre 1469 et 1473... (2).

A Saint-Jean-d'Angély, au commencement du XVe siècle, on invoque la " coutume ", c'est-à-dire une pratique " immémoriale ", qui a force de loi et dont la transgression ou l'inobservation conduit les contrevenants devant le tribunal du maire. C'est ainsi que les procès-verbaux des séances de ce tribunal nous livrent quelques aperçus des " coutumes ". Les gens de métiers concernés sont les couturiers, les cordonniers, les charpentiers, les fourniers, les maréchaux, les bouchers. Les couturiers sont de loin les plus présents. Le "métier " comprend couturiers, tondeurs et chaussetiers.

Il existe des " rois " au moins pour les couturiers, les cordonniers, les charpentiers, les fourniers et les maréchaux. Leur dignité apparaît comme annuelle mais les conditions et les modalités de leur désignation nous échappent. Ils estent en justice pour défendre les intérêts de l'ensemble des maîtres du métier, soit contre un de ces maîtres, soit contre des quidams. Ils reçoivent ainsi des sommes d'argent destinées à grossir " la torche " du métier. Ils prennent congé du maire pour " faire le mai " du métier. L'un d'eux, un couturier, est désigné par le maire pour examiner un pourpoint dénoncé comme mal fait. Il joue ainsi le rôle du "visiteur " dans certaines villes. A Poitiers, par exemple, le corps de ville exerce un contrôle sur la fabrication en nommant des visiteurs : 36 y sont désignés en 1422 pour toutes les catégories de marchandises (3).

Les extraits suivants concernent les coutumes de métiers à Saint-Jean-d'Angély. Y sont jointes des mentions relatives aux arbalétriers, qui ont aussi leurs rois, recrutés chaque année par un concours de tir au " papegaut ".

 

18 juin 1396

Les couturiers ont fait leur mai le 20 mai précédent. Perrinet Thibou, couturier, demeurant en la ville de Saint-Jean, se plaint d'une brimade que lui ont fait subir Arnaud Amouy, couturier, " et autres en sa compagnie ", le dit jour, " auquel mai le dit Perrinet avait été et y avait bien fait son devoir ". Le plaignant a été plongé la tête la première, " cinq ou six fois ou plus ", dans une cuve pleine d'eau, " en aventure d'être noyé ". Comme il s'est débattu, "le dit Amouy et les autres de sa compagnie donnèrent de son corps contre la dite cuve très cruellement " (Tome XXIV, p. 435).

30 mai 1401

Procès pendant entre le roi des fourniers, Renaud le Mosnier, et Jean Bilhotea, fournier ; reporté pour défaut de Boucaut, fournier (Tome XXVI, p. 121).

19 juillet 1401

Procès pendant entre Me Guillaume Loubat, charpentier, " en nom et comme roi du métier des charpentiers ", demandeur, et Robin Chauvet, maréchal, défendeur Les parties s'accordent pour désigner des arbitres (Tome XXVI, p. 122).

6 septembre 1401

Défaut du même Me Guillaume Loubat, "en nom et comme roi du métier des charpentiers de la ville de Saint-Jean-d'Angély ", demandeur contre le même Robin Chauvet, marchand (sic), défendeur. La femme de Loubat se présente pour l'excuser : il est en " voyage de Notre-Dame de Liles " (Tome XXVI, p. 122).

Mardi 3 novembre 1405

Les marchands bouchers ont demandé à Pierre Desouy, boucher, " qu'il leur fît le dîner accoutumé à faire nouveau boucher qui vend chair en la maison des bancs ". Le boucher a requis " l'attente à huitaine " pour consulter son conseil (Tome XXVI, p. 168).

Mardi 10 novembre 1405

Le même est condamné à " payer et faire aux marchands bouchers un bon dîner, tel et par la manière que les autres bouchers ont accoutumé faire quand ils sont nouvellement détailleurs de chair sur les bancs " (Tome XXVI, p. 168).

Vendredi 20 novembre 1405

Guillaume Boguin, " roi du métier des couturiers de la ville de Saint-Jean-d'Angély cette présente année ", contre Mériot Couillate, tondeur, défendeur. Le roi des couturiers affirme que " lui et les autres rois du dit métier de la dite ville sont en possession et saisine d'avoir un dîner pour le roi et pour les autres maîtres du dit métier, de tous les couturiers et tondeurs qui dresseront ouvrages et fenêtres, et aussitôt qu'ils les auront dressés en la ville de Saint-Jean ". Mériot Couillate dit qu'il n'en savait rien, " car jamais il ne l'avait vu ni su". " De la partie du roi du dit métier, il fut dit que c'était leur coutume et ainsi l'avaient-ils accoutumé à faire en cette ville et par tant de temps qu'il n'était mémoire du contraire ". Mériot répond que la coutume ne se perdra pas par sa faute, " qu'il ferait bien son devoir " et qu'il offre de payer le dit dîner mais demande un délai jusqu'au prochain mardi gras. Ordre est donné au premier sergent de la cour " de faire et mettre à exécution des biens et choses du dit défendeur jusqu'à la somme et valeur du dit bon dîner " (Tome XXVI, pp. 168-169).

Vendredi 7 mai 1406

Le mai du métier des cordonniers, qui devait être dimanche prochain, est renvoyé au dimanche suivant, par permission du maire et du consentement du roi du dit métier, parce que les clercs de Saint Nicolas " feront leur mai " dimanche prochain (Tome XXVI, p. 224).

Mercredi 19 mai 1406

Guillaume Boguin, roi du métier des couturiers, Jean Paien et plusieurs autres du dit métier, sont aujourd'hui venus prendre congé et licence de Monsieur le maire de " faire leur mai " demain, jour des Rouzons [Rogations], ainsi qu'ils ont accoutumé faire (Tome XXVI, p. 225).

Vendredi 21 mai 1406

Il est ordonné que le roi de chaque métier de cette ville " prenne congé et licence avec Monseigneur le maire d'aller au mai " (Tome XXVI, p. 180).

Jeudi 27 mai 1406

Un boucher doit payer un dîner parce qu'il est " boucher nouvel " (Tome XXVI, p. 229).

Vendredi 5 novembre 1406

Il est ordonné, au sujet des deux pipes de vin nouveau qui ont été présentées à Monseigneur le duc d'Orléans, dont Jean Guillot voulait avoir 24 livres, que le dit Guillot aura 20 livres et que ses gendres seront quittes d'une peine commise de 100 sous pour le fait des bouchers, à cause du dîner (Tome XXVI, p. 198).

4 juillet 1411

" Prouvera Jean Girait, boucher, à l'encontre de Mathelin Clerjaut, que, il y a quelque temps, quand le dit Mathelin fit le dîner aux bouchers de la ville de Saint-Jean, le dit Girait mit sa maison à la disposition du dit Mathelin pour faire le dîner et lui bailla ou fit bailler à sa requête un cent et demi de bûches pour appareiller la viande, et autres affaires, lesquelles bûches il estime à 6 sous tournois " (Tome XXVI, p. 359).

6 juillet 1411

" Aujourd'huy nous avons fait commandement à Guillaume Grasmorcel de bailler un écu à Adam, lequel Pierre Aymar avait mis par manière de misaille [pari], le jour que les arbalétriers de Taillebourg devaient jouer à l'encontre des arbalétriers de Saint-Jean et qu'ils ne vinrent pas " (Tome XXVI, p. 359).

10 décembre 1411

Jean Gargot, roi des maréchaux de la ville de Saint-Jean-d'Angély, prouvera contre Jean Bourdeau qu'il a baillé ou fait bailler à ce dernier " une torche de cire appartenant aux dits maréchaux, du poids de douze livres ou environ, laquelle torche Bourdeau n'a pas rendue aux dits maréchaux " (Tome XXVI, pp. 370-371).

Mardi 23 mai 1412

" Ils ont ordonné que, au roi des arbalétriers qui abattra le papegaut, il soit donné un joyau d'argent d'un poids d'une once ou environ, comme il a été fait autrefois " (Tome XXXII, P. 8).

3 août 1412

Il est ordonné qu'un pourpoint mal fait " sera vu par le roi du métier, Étienne Sarrazin, aujourd'hui " (Tome XXXII, p. 26).

Vendredi 26 août 1412

" A Adam le Sordier, pour la vente et façon d'une vire d'argent pesant une once, laquelle a été baillée et livrée à Pierre Lambert, roi des arbalétriers de cette présente année, parce qu'il a abattu le papegaut : 22 sous 6 deniers tournois " (Tome XXXII, p. 13).

Lundi 13 février 1413

Des compagnons bouchers réclament contre Jean Raibeuf pour cause du dîner du métier (Tome XXXII, p. 29).

Compte de dépenses de 1414

" A Guillaume Daguenaut, pour avoir abattu le papegaut de dessus le clocher de Notre Dame : 22 sous 6 deniers " (Tome XXXII, p. 121).

24 mai 1415

" En l'assignation pendante en la cour de céans entre Mériot Couillète, roi du métier des couturiers de la ville de Saint-Jean, demandeur, à l'encontre de Pierre Fortin, couturier, pour raison du dîner que le dit Fortin est tenu de faire au roi et aux maîtres dudit métier de la dite ville, comparaissent les parties et le dit Fortin confesse devoir et être tenu au dit dîner aux dits roi et compagnons du dit métier, pour lequel dîner il a composé à 22 sous 6 deniers qu'il a payés présentement, convertis en cire pour accroître la torche des dits couturiers. Ce fut fait et donné en la cour de la mairie de la ville et commune de Saint-Jean-d'Angély " (Tome XXXII, p. 141).

Vendredi 12 juillet 1415

Jean Monerea est condamné à payer au roi des couturiers, dans les huit jours, 22 sous 6 deniers " pour convertir à la torche pour nom et à cause du dîner qu'il était tenu faire au métier des couturiers, duquel dîner il demeure quitte " (Tome XXXII, p. 142).

Lundi 27 avril 1416

" Payer une once d'argent en un petit joyau à Huguet, valet de Hélie de Saumur, pour avoir abattu le papegaut et être roi des arbalétriers " (Tome XXXII, p. 162).

26 juin 1417

" Est condamné par jugement et de son consentement Mériot Couilhète, tondeur, à rendre et payer dans la fête de saint Jean-Baptiste prochaine, à Jean Laisné, roi des couturiers, au profit de la torche du dit métier, la somme de 112 sous 6 deniers qu'il confesse lui devoir pour cause de bon et loyal prêt " (Tome XXXII, p. 187).

Mardi 12 avril 1418

" Nous avons condamné par jugement Louis Noea à rendre et payer dans la fête de l'Assomption Notre Dame prochaine à Étienne Sarrazin, roi du métier des couturiers, 10 sous pour accroître la torche du dit métier de couturier, pour laquelle somme de 10 sous le dit Noea demeure quitte du dîner qu'il devait faire au roi et compagnons du métier de couturier " (Tome XXXII, p. 248).

Jeudi 27 mars 1419

" Nous avons condamné par jugement Jean de la Fontaine, chaussetier, à rendre et payer à Pierre Jean, couturier, roi du dit métier, 4 livres de cire, à savoir 2 livres dans la fête du corps Jésus Christ et 2 livres dans la fête de Noël prochaine, pour raison de la désobéissance qu'il a faite de ce qu'il n'a pas été au mai du dit métier, et, en payant les dites 4 livres de cire, le dit la Fontaine, au regard de la torche, demeure quitte de tout le temps passé jusqu'à la fête de Noël " (Tome XXXII, p. 253).

Compte du 15 avril 1418 au 15 avril 1419

" A Ambroise Dorin, arbalétrier, un joyau du prix de 45 sous qui lui est dû de l'année dernière pour avoir abattu le papegaut " (Tome XXXII, p. 271).

 20 mai 1419

" Payé 60 sous tournois à un doridier pour la valeur et façon d'une arbalète d'argent à donner à celui qui aura le prix des compagnons arbalétriers de la ville (Tome XXXII, p. 297).

6 novembre 1419

Deux cordonniers sont condamnés à payer avant la prochaine Chandeleur, au roi du métier des cordonniers en la ville de Saint-Jean-d'Angély et aux maîtres cordonniers de cette ville, chacun un dîner suffisant, à l'ordonnance du maire, selon leur possibilité (Tome XXXII, p. 279).

Vendredi 15 décembre 1419

" Sur ce que Jean Lescot, dit Bastelot, roi du métier des cordonniers en la ville de Saint-Jean-d'Angély cette présente année, disait et proposait aujourd'hui à la cour de céans, à l'encontre de Pierre Prévôt, cordonnier, que, comme d'ancienneté il est de coutume entre les cordonniers maîtres de leur métier que, quand un cordonnier veut lever ouvroir de cordonnerie en une ville, même une ville de loi, il doit parler au roi du métier des cordonniers, sinon aux maîtres cordonniers de ce métier, et, s'ils considèrent qu'il est apte à ce, ils lui doivent permission de lever son ouvroir et lui ordonneront de faire trois paires de souliers, à savoir des souliers " escolletés ", des souliers lacés à bas collet et une autre paire de souliers à bouton et à boucle, avec le dîner accoutumé au roi et aux maîtres cordonniers de ce métier. Et ainsi est-il coutume de faire en la bonne ville de Paris et ainsi en est-il dans les autres bonnes villes de ce royaume et mêmement en la dite ville de Saint-Jean. Et s'il est trouvé non apte à faire les dites trois paires de souliers, il ne sera point reçu à tenir ouvroir mais cela lui sera défendu jusqu'à ce qu'il sache faire les dits souliers.

Et le dit roi du métier disait que, au mépris de lui et des autres maîtres cordonniers de ce métier, ce Pierre Prévôt avait levé ouvroir de cordonnerie en la dite ville de Saint Jean, sans parler au dit roi du dit métier, ni avoir eu congé ou licence de lui ni d'autre, ni payé le dit dîner accoutumé, ni fait les dits souliers. Et pour ce, le dit roi requérait, pour lui et pour les dits maîtres cordonniers du dit métier, à l'encontre du dit Prévôt, que celui-ci fût contraint et condamné à faire et payer au roi et aux maîtres cordonniers du dit métier un bon dîner convenable et à faire et tailler les dites trois paires de souliers comme dessus est dit, s'il reconnaissait la véracité des faits ci-dessus exposés ; et s'il en niait quelque partie, le roi offrait à en administrer la preuve.

A quoi il a été répondu par le dit Prévôt qu'il est bien vrai qu'il fit son devoir et eut congé de lever son dit ouvroir, ce pour quoi on ne le devait condamner à l'amende, mais qu'il restait à faire le dit dîner et aussi les souliers et que, en ce qui le concernait, il ferait volontiers son devoir à l'égard du roi et des autres maîtres cordonniers du dit métier, pourvu qu'il ait un délai pour faire le dit dîner. Et pour cela, nous avons condamné ce Pierre Prévôt, de son consentement, par ces présentes, à faire les dites trois paires de souliers, quand il en sera requis par le dit roi du métier, et en outre nous l'avons condamné à payer un dîner suffisant et convenable au roi et aux autres maîtres cordonniers du dit métier, le jour du dimanche gras prochain. Ce fut fait... " (Tome XXXII, pp. 280-281).

3 septembre 1424

" Que le roi des arbalétriers soit payé du joyau qui lui est dû de l'année passée, montant à 2 écus. Ils ont ordonné que, pour l'année à venir, le jeu de prix est mis à six coups de trait d'arbalète et celui qui aura le prix aura un joyau du prix de 4 écus (Tome XXXII, p. 355).

 Vendredi 29 juin 1425

" A Adam de la Carrière, orfèvre, la somme de 70 sous tournois à lui ordonnée, a été baillée par monseigneur le maire pour le joyau du jeu de l'arbalète de cette présente année " (Tome XXXII, p. 369).

15 novembre 1425

" L'ajournement que le roi des couturiers de la ville de Saint-Jean-d'Angély, demandeur ou requérant à l'encontre de Jean Gaschet et Jean Meslaie, couturiers, pour raison du dîner qu'il dit qu'ils sont tenus faire aux maîtres du métier, les parties présentes en jugement, est reporté de leur consentement d'aujourd'hui en huit jours (Tome XXXII, p. 434).

 Notes

(1) Ils sont publiés dans les tomes XXIV, XXVI et XXXII des Archives Historiques de la Saintonge et de l'Aunis.

(2) Favreau R. La ville de Poitiers à la fin du Moyen Âge, tome II, pp. 543-544.

(3) Ibid., p. 544.