Une procession à l'Houmée en 1647

 

Il n'est pas courant de trouver des renseignements sur les processions dans les actes de notaires. L'acte suivant, qui fait partie d'une collection privée, se rapporte à la procession de la saint Marc dans la paroisse de l'Houmée (1). On sait que le procession annuelle de la saint Marc (25 avril), ou litanies majeures, était très suivie. En 1647, pour raccourcir le trajet habituel qui empruntait tout naturellement les chemins, le curé et les paroissiens de l'Houmée ont coupé à travers champs et bois. Ce faisant, ils n'ont que très peu endommagé les semis mais Louis Guillier, riche propriétaire, dont ils ont parcouru les champs et les bois, les a fait sommer de se trouver à la grande porte de l'église paroissiale, le mercredi saint, 19 avril 1648, à l'issue de la messe, pour y signer un procès verbal.

Il s'agissait de leur faire reconnaître que, l'année précédente, la procession n'avait pas suivi les " grands chemins " mais avait foulé ses propriétés. Guillier alléguait qu'il se prémunissait ainsi contre les prétentions de gens qui " lui voudraient nuire " mais le choix du jour - six jours avant la procession de l'année en cours - montre que l'assignation avait pour but de convaincre les intéressés de revenir à de saines pratiques. D'ailleurs, en fin d'acte, une menace de recourir à la justice en cas de refus précisait bien son intention : " faire cesser ce trouble ". La présence du sénéchal de la seigneurie de l'Houmée, Barthélémy Martineau, ne pouvait qu'encourager les habitants à signer, le sénéchal étant d'ailleurs le neveu du plaignant. L'acte ne signale pas la raison du détournement de la procession. Peut-être des conditions atmosphériques exécrables !

"Aujourd'huy, dix neufviesme d'avril mil six centz quarante huit, environ les onze heures du matin, par devant le nottaire royal et les tesmoins soubscripts, devant la grande porte de l'église parroissialle de Sainct Denis de l'Houmée, issue de grande messe y célébrée, et plus grande affluence de peuple, a esté présent en sa personne honorable homme Louis Guillier, sieur de Noizy et de l'Ombrière, demeurant à sa maison du Pinyer, en la parroisse de Sainct Vivien de la Vallée, lequel, parlant à messire Jacques Barbe, prestre curé de ladite parroisse de l'Houmée, Me Pierre Bouhier, receveur de Monsieur d'icelle parroisse, Thomas Sorin, Jehan et François Ameline... (ici dix autres noms) et autres, faisants la majeure part des habitants de ladite parroisse de l(Houmée qui ont assisté au divin service,

a dit qu'il les prie de se ressouvenir qu'à la feste de sainct Marc de l'année dernière, au lieu d'aller par eux en procession comme d'ancienneté, par les grands chemins qui sont en ladite parroisse, estants entrés en le chemin Poissonnier, ilz furent par iceluy jusques au droit du bois taillis des Belizeaux qui est en la rente de la prise de la Meriodellerie, et là sortirent dudit grand chemin et furent le long des seillons de la terre desdits Belizeaux et dudit Guillier qui joint les bois, sans pourtant endommager que bien peu le grain qui y estoit ensemancé, et de ce champ entrèrent en le bois taillis d'iceluy Guillier qui n'estoit que coupé, dit le Bois Boulineau, et à la sortie dudit bois suivirent le long des seillons d'autre terre desdits Belizeaux aussy ensemancés et de la terre dudit Me Pierre Bouhier, jusques au mas tenu de Monsieur de l'Houmée apellé Baconnay, et suivirent les seillons dudit mas qui joignent le bois de mon dit sieur jusques aux seillons du mesme mas qui descendent au bout d'iceluy bois vers le bois de Sermaize, et là traversèrent lesdits seillons en l'estandue d'environ huit journaux en iceluy mas, jusques à la gitte à Giraud et, au lieu de suivre le grand chemin qui passe contre ladite gitte, par lequel on va au carrefour de Trichot jusques audit carrefour, et de là le grand chemin qui va à ladite église de l'Houmée, estants au bout d'icelle gitte ils traversèrent les seillons du mas du Bois Gros qui tient de la chastellanie des Fontaines de Beurlé et le champ du sieur de Puyballon, jusques au bois de mon dit sieur de l'Houmée, et furent le long dudit bois jusques au grand chemin par lequel on va et vient es bourgs de la Vallée et l'Houmée ;

en quoy faisant, ils troublèrent ledit Guillier en l'estandue cy dessus qui est d'environ demy cart de lieue, par leur passage processionnel en icelle estandue, où il n'y a jamais heu de grand chemin es terres que y a iceluy Guillier et lesdits sieurs nommés.

C'est pourquoy il somme lesdits habitants de l'Houmée de le registrer présentement, afin que cy après, ceux qui voudroyent nuire audit Guillier et susdits, en se prévalant de tel passage pour y présumer un grand chemin, en soyent divertis par telle recognoissance ; et à faute d'icelle, proteste de les convoquer pour les y obliger par la justice et faire cesser ce trouble.

A quoy tous lesdits habitants sus nommés ont dit pour telle recognoissance qu'ilz advouhent qu'il n'y a oncques heu de grand chemin en ladite estandue et que ce qu'ilz y ont passé n'a esté que pour acourcir leur détour par ladite procession à ladite église de l'Houmée et qu'ilz promettent de ne passer cy après processionnellement en icelle estandue pour divertir les seigneurs directs...

Desquels dire et recognoissance et promesse a esté ottroyé par ledit notaire audit Guillier, ce requérant, le présent acte, devant ladite grande porte d'église, es présences d'honorable homme Me Bartholomé Martineau, sieur de l'Enfermerie, juge séneschal de ladite seigneurie de l'Houmée et de Baconnay, advocat en la cour de parlement de Bourdeaux et domicilié en la ville de Saintes, et de Me Pierre Ocqueteau, praticien, demeurant audit bourg de l'Houmée, tesmoins requis, et ont lesdits habitants déclaré ne savoir signer, fors les soubssignés, et ont lesdits Thomas Sorin et Guy Guillot déclaré ne vouloir signer. Ainsy signé au registre L. Guillier, F. Barbe, P. Bouyer, B. Martineau, Debois, G. Guillot pour avoir signé après le refus encore que je n'aye esté à ladite procession, P. Ocqueteau et dudit nottaire soubssigné.

P. Oqueteau, notaire royal en Xaintonge, paraphe".

Double feuille, écrite au recto de la première. Archives privées.

Note

(1) Aujourd'hui en partie dans la commune de la Vallée, Charente-Maritime.

Publié dans Aguiaine, bulletin de la S.E.F.C.O. tome XXIII, n° 3, mai-juin 1991, p. 199-201.