LES PREMIERS SEIGNEURS DE TONNAY-CHARENTE

DE LA FAMILLE DE ROCHECHOUART (1277-1393)

 

L'abbé Brodut a longuement traité la question des Rochechouart seigneurs de Tonnay- Charente, en présentant une biographie plus ou moins développée pour chacun d'eux, mais le plus souvent sans référence et non sans erreurs. La présente note est un essai de simplification et de mise au point, qui s'appuie essentiellement sur des analyses d'actes que le général comte de Rochechouart a reproduites dans un ouvrage intitulé " Histoire de la maison de Rochechouart " (1).

Le vicomte Aimeri IX (1277- vers 1283)

On sait que le dernier seigneur de Tonnay-Charente de la famille primitive, nommé Geoffroy, est décédé vers 1269, sans héritier direct mâle, et que sa succession a été liquidée en 1277 seulement. Ses possessions ont alors été divisées en sept parts d'égale valeur, parce qu'il avait eu sept filles, un préciput ayant été réservé à l'aînée, selon la coutume. Pour assurer l'équilibre des parts, il a fallu segmenter des châtellenies, dont celle de Tonnay qui a été réduite à la partie située sur la rive droite de la Charente et à une tête de pont sur la rive gauche (2).

.Cette nouvelle châtellenie a été attribuée à Aimeri de Rochechouart pour raison des enfants issus de son mariage avec Jeanne, l'aînée des filles de Geoffroy de Tonnay. En effet, Jeanne, mariée en 1251, était décédée depuis le début de janvier 1264, en mettant au monde son huitième enfant (3) . Aimeri s'était remarié sans tarder avec une veuve, Mathilde, qui avait elle-même au moins trois filles mineures d'un mariage avec Guillaume de Fors. Le contrat, en date du 28 avril 1264, prévoyait le mariage d'Aimeri, fils aîné du vicomte, avec Jeanne, fille aînée de Mathilde, et celui de Guy, second fils du vicomte, avec Sibille, seconde fille de Mathilde. Aimeri devait avoir la vicomté de Rochechouart et sa femme le manoir de Carlton (4) à elle attribué en préciput par sa mère. Guy recevrait la terre de Mortemart (5). Peu après, le 13 mai suivant, Savari de Vivonne, qui avait la garde et la tutelle des deux filles, avait transféré à Aimeri de Rochechouart tous les droits de ces filles dans la châtellenie et la terre de Vivonne (6).

 Nous n'avons aucun renseignement sur cette famille nombreuse pendant la minorité des enfants. Nous pouvons cependant constater que les deux mariages prévus ont été réalisés. D'autre part, nous ne connaissons aucun acte d'Aimeri IX relatif à la châtellenie de Tonnay- Charente. Il nous faut faire un bond d'une vingtaine d'années et nous reporter à 1283 pour entrevoir un autre état de l'entourage familial du vicomte. Cette année-là, le 25 juin, celui-ci fait un testament, alors qu'il est " sur le point de passer la mer avec le roi de France " (7). Son fils aîné, Aimeri, qui devrait avoir une trentaine d'années, est alors décédé, avec deux enfants en bas âge, Aimeri et Jeanne. Le dernier, Foucaud, a environ vingt ans. C'est donc à son petit-fils Aimeri qu'il attribue la vicomté de Rochechouart, avec quelques châteaux. A son second fils, Guy, il réserve, entre autres, le château et la châtellenie de Tonnay-Charente avec les hommages, sauf 150 livres de rente dues à Aliénor, sœur de Guy, mariée à Geoffroy de Mortagne. Il élit sa sépulture en l'église des Franciscains de Saint-Junien, en habit de l'ordre, où il ordonne que son corps soit rapporté en cas de mort en pays étranger. D'après une enquête de l'an 1293, il semble être décédé l'année de son testament, puisque cette enquête signale qu'il y a alors dix ans qu'il est décédé (8).

Guy de Rochechouart, fils d'Aimeri IX (vers 1283 -1313 ou 1314)

Quatre ans plus tôt, en 1279, Guy, alors chevalier, et sa femme Sibille, ont fait un échange avec Cécile, sœur de Sibille, et son mari Jean de Beauchamp. En effet, du chef de son père, Sibille partageait avec ses sœurs Jeanne et Cécile des possessions dans la châtellenie et la terre de Vivonne et du chef de sa mère des terres en Angleterre. Sibille et Guy ont alors cédé leurs droits à Dusselinghe, au comté de Cambridge, et à Walneton, au comté de Dorset, pour ceux de Cécile et son mari dans la châtellenie de Vivonne " et autres lieux au diocèse de Poitiers " (9).

Nous ignorons quand Guy prend Tonnay en charge. En effet, nous ne le rencontrons de nouveau qu'en novembre 1291, quand il procède à un partage avec son frère cadet Simon et son jeune neveu Aimeri, qui n'est encore que damoiseau. Il conserve alors la châtellenie, conformément au testament de son père, toujours grevée d'une rente de 150 livres à sa sœur Aliénor, femme de Geoffroy de Mortagne (10). Il reste trois actes de lui concernant Tonnay- Charente, qui sont bien connus, Brodut les ayant reproduits, mais qu'il n'est peut-être pas inutile de rappeler. Le 22 décembre 1293, il signale qu'Étienne de Tonnay et sa femme Aline tenaient de lui, en parage, l'hébergement de Biard (11) et ses appartenances, et il fait savoir que désormais Étienne et Aline tiendront l'hébergement au seul devoir de 6 deniers, sans foi, sans aide ni aucune autre charge, et qu'ils pourront même demander de les tenir du roi et être dès lors quittes des 6 deniers (12). En 1300, il confirme au prieur de Trizay et aux habitants de plusieurs paroisses un droit d'exploit dans un marais dépendant de sa haute justice (13). Le 28 août 1311, il restitue au prieur de Montierneuf, en Saint-Agnant, un domaine qu'il avait injustement mis en sa main ; l'acte est scellé de son sceau, à la Pilette (14).

Dans un testament daté du 26 juin 1313, se qualifiant seigneur de Tonnay-Charente et de Cercigny (15), il apparaît remarié avec une Agnès. Il élit alors sa sépulture au monastère de Trizay, auprès de son père, confirme les donations qu'il a faites à Agnès et fait des legs, à Plautine et Agnès, filles de celle-ci, à Guy de Ligne, son valet, à Pierre Millat, son serviteur... Il nomme comme exécuteurs sa femme, Guy de Rochefort et Aimeri Lopard, chevaliers (16). Il a alors la soixantaine et il disparaît peu après.

La mention de l'inhumation de son père au prieuré de Trizay est surprenante car elle est en contradiction avec la volonté d'Aimeri IX exprimée dans son testament de 1283. Nous ne voyons cependant pas de raison pour suspecter l'authenticité de l'acte. On remarque d'autre part qu'il désigne comme exécuteur Guy de Rochefort, un cousin, seigneur de Broue, et non l'un de ses frères cadets.

De son mariage avec Sibille, il a eu au moins deux fils, Guyard et Guillaume. Le premier est seulement aperçu, en 1295, quand sa cousine germaine, Jeanne de Rochechouart, lui fait donation de tous ses biens ; il a alors une vingtaine d'années (17). Le second, Guillaume, qui a reçu le nom de son grand-père maternel, a été voué aux ordres, mais la disparition prématurée de son frère aîné en fait l'unique héritier de Guy. Et c'est lui que nous découvrons comme seigneur de Tonnay, le 28 août 1314, alors qu'il est chanoine à Bourges, où son oncle Foucaud est doyen. Par cet acte, Foucaud décide que Simon, vicomte de Rochechouart, paiera à Guillaume 100 livres de rente pour ses droits en la vicomté de Rochechouart (18).

Guillaume de Rochechouart, fils de Guy (1313 ou 1314-vers 1330)

Le 10 mai 1318, on constate que Guillaume a abandonné les ordres pour l'armée. En effet, se qualifiant chevalier et seigneur de Tonnay-Charente, il donne alors procuration à Hugues Aubert, valet, et autres, pour recevoir en son nom de son oncle Foucaud devenu évêque de Noyon, la somme de 90 livres pour deux ans, qui lui était due par feu Simon, vicomte (19). On le retrouve le 30 avril 1320, toujours dit seigneur de Tonnay-Charente, remboursant à un habitant de Limoges 120 livres qu'il lui devait (20).

C'est encore pour une question d'argent qu'on le rencontre en 1328. Il notifie alors que ses oncles, Foucaud, toujours évêque de Noyon, et feu Simon, vicomte de Rochechouart, ont payé pour son père défunt et pour lui la somme de 7 000 livres, en remboursement d'une dette de son aïeul Aimeri, vicomte de Rochechouart, et des vicomtes qui l'ont précédé, et que, pour s'acquitter, il a " cédé et transporté " à Foucaud, pour lui et pour Jean de Rochechouart, fils et héritier de Simon, son hébergement de Cercigny, près de Vivonne, venant du chef de sa mère, pour la somme de 5 000 livres, et lui a engagé sa terre de Tonnay- Charente pour les 2 000 livres restantes. L'acte est passé en présence de sa femme, Agathe de Baussay (21)..

Foucaud de Rochechouart, oncle de Guillaume

Guillaume décède peu après, sans héritier direct, car, le 14 août 1330, Foucaud se déclare seigneur de Tonnay-Charente quand il signifie que, ayant " recueilli la succession de son neveu Guillaume de Rochechouart, seigneur de Tonnay-Charente ", il avait cru pouvoir soutenir la prétention de celui-ci de racheter par retrait la moitié de la haute juridiction d'Echillais qu'Imbert Guy, seigneur des Fontaines de Beurlay, avait vendue à Aimeri Goumard, chevalier. Il abandonne alors sa prétention, en faveur de Geoffroy Goumard, chevalier, frère et successeur d'Aimeri (22).

Jean, vicomte de Rochechouart, fils de Simon (avant 1335-1356)

Foucaud cède ensuite Tonnay à son seul héritier mâle, son neveu Jean, vicomte, fils de Simon; la châtellenie est ainsi de fait unie à la vicomté. C'est pourquoi, dans un testament daté de février 1335, Jean se qualifie seigneur de Tonnay-Charente" (23). Nous ignorons en quelles circonstances le vicomte, qui a environ la trentaine et est encore célibataire, fait ce testament, en faveur de Foucaud, qu'il qualifie " son bienfaiteur " et auquel il donne ses châteaux et châtellenies de Brigueuil, Tonnay-Charente et Saint-Auvent, " qu'il avait reçus de lui ". Le testament ne sera d'ailleurs pas exécuté car Foucaud décédera en 1343, à quatre- vingts ans environ, et Jean vivra jusqu'en 1356.

En 1339, Jean est confronté à une demande de sa sœur Isabeau, femme de Jean de Chauvigny, concernant, entre autres choses, la moitié par indivis en la succession de Guillaume de Rochechouart, succession qui comprend essentiellement Tonnay-Charente. Le 19 mars de cette année, les parties élisent des arbitres, dont nous ignorons la décision (24). Le ler septembre 1356, sur le point de partir en campagne contre le Prince Noir, Jean fait un autre testament par lequel il déshérite, " autant qu'il le peut ", son fils aîné Louis, auquel il reproche de s'être marié sans son consentement, et dispose de la châtellenie de Tonnay en faveur de son second fils, Jean, qui est religieux (25). On sait que le vicomte est parmi les victimes de la bataille " de Poitiers ", le 19 septembre suivant.

Louis, vicomte de Rochechouart fils de Jean (1356-1393 ou 1394)

Ce testament singulier n'est pas suivi d'effet. Louis reçoit la vicomté de Rochechouart et Tonnay-Charente. En 1364, il vend la châtellenie de Tonnay au Prince Noir, avec faculté de rachat pendant un an, mais son frère Jean, évêque de Saint-Pons, la rachète dans les délais, en 1365, et, en accord avec lui, l'unit à la vicomté, " pour être le partage de l'héritier principal " (26) . Aussi, en cette année 1365, le vicomte Louis fait-il hommage au " prince d'Aquitaine " pour " le chastel, ville et chastellenie de Thonnay-Charente " (27). Son dernier acte connu est un aveu au roi de France, daté du 6 mars 1393 (28). Son fils aîné, Jean, vicomte après lui, recevra Tonnay, conformément à la convention ci-dessus, malgré l'opposition de son fils Louis, issu d'un second mariage.

Notes

 (1). Général comte de Rochechouart, Histoire de la maison de Rochechouart, tome II, 1859, " Documents divers ", p. 274 et suivantes. L'auteur signale qu'il a fait prendre copie d'un manuscrit du bénédictin dom Villevieille, manuscrit comportant des analyses d'actes conservés au XVIIIe siècle au château de Rochechouart. Je remercie Jean David pour m'avoir obligeamment prêté cet ouvrage.

(2). Voir Jacques Duguet, " Les seigneurs de Tonnay-Charente des origines à 1276 ", dans Roccafortis, 3e série, n° 3, janvier 1989, p. 11. La date de mars 1276, attribuée dans cet article au règlement de la succession, s'entend en ancien style.

(3). Général comte, tome I, p. 85-86 (pour la date du mariage et celle du décès, cette dernière d'après l'épitaphe), tome II, p. 287 (pour la mort en couches, à la naissance du huitième enfant).

(4). Carlton, comté de Nottingham, Angleterre.

(5) Général comte, Documents divers, tome II, p. 282.

(6). Ibid., p. 282.

(7). Ibid., p. 285.

(8). Ibid., p. 287. Cependant, une analyse le présente comme vivant le 26 avril 1284, date à laquelle il aurait muni un acte de son sceau (Ibid., p. 286), Il faudrait pouvoir vérifier la date de cet acte.

(9). Ibid., p. 284.

(10) Ibid., p. 286-287.

(11). Biard, écart, commune de Saint-Hippolyte. Cette Aline, qui porte un nom traditionnel dans la famille de Tonnay depuis la fin du XIe siècle, doit être apparentée à Guy. C'est pourquoi elle tient le fief de Biard en parage, sous l'autorité de Guy qui fait l'hommage au comte de Poitiers.

(12). Brodut, p. 125-126.

(13). Ibid., p. 123-125.

(14). Ibid., p. 126-129. La Pilette, écart, commune de Moragne.

(15). Cercigny, écart, commune de Vivonne, Vienne.

(16). Général comte, p. 296.

(17) Ibid., p. 288.

(18). Ibid., p. 296.

(19. Ibid., p. 298. Foucaud est redevable en qualité de tuteur des enfants mineurs de son frère, feu Simon, vicomte. La date de l'acte n'est pas certaine; plusieurs analyses de cette page sont en effet en contradiction chronologique.

(20) Ibid., p. 298.

(21). Ibid., p. 299.

(22). Dossier d'analyses d'actes concernant la famille Goumard, issu du cabinet d'Hozier, d'après des analyses de Léon de Beaumont; archives privées.

(23). Général comte, p. 300.

(24). Ibid., p. 301.

(25). Ibid., p. 307.

(26). Ibid., p. 315-316.

(27) Publié par Brodut tome I, p. 133.

(28). Publié par le même, tome I, p. 136-141. Date en " vieux style ".

Publié dans Roccafortis, bulletin de la Société de Géographie de Rochefort, 3e série, tome IV, n° 25, janvier 2000, p. 149-153.